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Billet de blog 10 février 2022

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Mettons fin au chantage à la dette publique

Avec la fin du « quoi qu’il en coûte » ressurgissent les messages alarmistes au sujet de la dette publique française, qui serait devenue insoutenable. Invoquer le niveau de la dette pour amputer les services publics et la protection sociale n’est qu’un prétexte idéologique. Par Pierre Khalfa et Sébastien Villemot.

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Ce blog est géré par les économistes membres du parlement de l'Union populaire. Les auteurs du billet sont Pierre Khalfa, économiste, membre du Parlement de l’Union populaire, et Sébastien Villemot, économiste, spécialiste en macroéconomie quantitative.

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Avec la fin du « quoi qu’il en coûte »[1] ressurgissent les messages alarmistes au sujet de la dette publique française, qui serait devenue insoutenable après avoir atteint 116 % du PIB. Ainsi, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, expliquait récemment qu’il serait « irresponsable » de ne pas réduire ce niveau, en prévision d’une remontée des taux d’intérêt dans un contexte inflationniste, et qu’il faut donc « maîtriser les dépenses publiques »[2]. Bruno Le Maire, esquissant le programme d’Emmanuel Macron, estime qu’une réforme des retraites « doit être une priorité absolue pour le rétablissement de nos finances publiques »[3]. Valérie Pécresse ambitionne de ramener la dette à 100 % du PIB en 2027, ce qu’elle compte réaliser via un violent programme d’austérité, incluant notamment la suppression de 200 000 postes de fonctionnaires[4].

Il convient d’abord de rappeler que le niveau actuel de la dette n’est pas le symptôme d’un État qui vivrait au-dessus de ses moyens, dépensant de façon irresponsable et inefficace. Lorsqu’on analyse rétrospectivement la montée du ratio dette sur PIB depuis 1980 (lorsque ce ratio était à 20 %), on s’aperçoit qu’elle est d’abord la conséquence de quatre facteurs : les taux d’intérêt supérieurs au taux de croissance durant les années 1980 et 1990, impliquant un effet « boule de neige » ; la contre-révolution fiscale des 25 dernières années qui a vu l’État se priver de ressources fiscales au profit des ménages aisés et des entreprises ; le coût direct et indirect de la crise financière de 2007-2008 lors de laquelle l’État a sauvé le système financier ; et plus récemment les mesures de soutien en compensation des restrictions administratives pour lutter contre le Covid-19.

Le niveau de la dette ne pose pas de problème

On voit bien qu’invoquer le niveau de la dette pour amputer les services publics et la protection sociale n’est qu’un prétexte idéologique[5]. Pour autant, indépendamment de ses origines, le niveau actuel de la dette publique représente-t-il une menace ? La réponse est clairement négative.

Remarquons d’abord que l’indicateur utilisé, le ratio dette sur PIB n’a pas grand sens[6]. En effet il compare un stock, la dette, et un flux, la richesse créée en une année, le PIB. Mais surtout il fait l’impasse sur l’essentiel, à savoir quelle est la charge de la dette, les intérêts versés annuellement. Il est plus judicieux de comparer deux flux, le rapport entre la charge de la dette et le PIB. Mais alors on obtiendrait un chiffre qui serait peu propice à créer l’affolement. En effet la charge de la dette ne représentait que 1,3 % du PIB en 2020. Car, il faut comprendre qu’un État ne rembourse jamais sa dette. Il ne paie que la charge de la dette. Lorsqu’un titre de la dette publique arrive à échéance, l’État emprunte de nouveau pour le rembourser : il « fait rouler » la dette.

La question essentielle n’est donc pas le montant de la dette, mais le taux auquel l’État emprunte. Or aujourd’hui ces taux sont encore très bas, voire négatifs pour les emprunts à court terme, même si des hausses vont probablement intervenir dans les mois ou les années à venir. C’est donc le bon moment pour emprunter afin de faire les investissements nécessaires, tant pour financer la transition écologique que la remise à niveau des services publics.

Par ailleurs, le taux d’intérêt qui importe est le taux réel (c’est-à-dire corrigé de l’inflation) lorsqu’on veut analyser la soutenabilité de la dette (en le comparant au taux de croissance). Or, s’il est probable que les taux nominaux augmenteront à moyen terme, rien ne permet d’affirmer qu’il en sera de même pour les taux réels, car la hausse de l’inflation neutralise celle des taux nominaux. Certes cette hausse de l’inflation a des effets négatifs sur le pouvoir d’achat de la grande masse de la population, mais elle permet de rendre plus indolore le remboursement des dettes. La hausse des taux d’épargne et la faiblesse de l’investissement au niveau mondial laissent plutôt penser que les taux d’intérêt réels vont rester durablement bas. Ceci d’autant plus que les banques centrales ne voudront pas augmenter les taux nominaux trop brutalement et trop fortement, par crainte d’une crise obligataire, et pour éviter de casser une activité économique qui, au-delà de l’effet de rattrapage suite à la crise sanitaire, reste fragile.

La menace des marchés

Enfin, certaines économies avancées comme le Japon ou les États-Unis ont un endettement public bien plus élevé sans que cela ne pose de problème. Et c’est là que se niche le problème essentiel. En effet, dans ces deux pays, la dette publique n’est pas soumise à la loi des marchés financiers, car ce sont essentiellement des institutions publiques (banques centrales, institutions financières publiques) qui achètent les titres de la dette. Ce n’est pas le cas dans la zone euro où le traité de Maastricht oblige, de fait, les États à emprunter sur les marchés financiers, sans garantie de soutien par la Banque centrale européenne (BCE). Il s’agit donc d’un choix politique. Pour pouvoir emprunter à des taux raisonnables sur le marché, l’État doit se plier aux désirs des investisseurs. La dette publique devient ainsi un élément fondamental de la domination des marchés. Ces derniers deviennent les arbitres des équilibres budgétaires des pays de la zone euro, ce qui a ainsi favorisé les mouvements spéculatifs à l’origine de la crise de la dette publique au printemps 2010.

Certes, depuis, la BCE a massivement racheté des titres de dette, ce qui a contribué à la baisse des taux et a limité le pouvoir de nuisance des marchés financiers[7]. Mais rien dans le cadre institutionnel actuel ne garantit que ce soutien va perdurer. En particulier, un gouvernement national qui voudrait appliquer une politique de rupture avec le néolibéralisme pourrait, comme la Grèce en 2015, se voir couper le robinet des liquidités par la BCE et ainsi redevenir dépendant des marchés, qui lui seront évidemment hostiles.

Il est donc nécessaire de dégager durablement le financement public de l’emprise des marchés. Le programme L’Avenir en commun porté par Jean-Luc Mélenchon indique clairement les mesures à prendre.

Sortir de la financiarisation

Il faut exiger que la BCE transforme les dettes publiques qu’elle détient déjà en dettes perpétuelles à taux nul, par exemple via une opération d’échange de titres. Cela permettra de retirer définitivement des marchés environ un quart de la dette publique française. Il faut par ailleurs que la BCE finance directement les investissements publics indispensables, tant pour la transition écologique que pour les besoins sociaux, afin que les États cessent d’être prisonniers des turbulences sur les marchés financiers. Certes nous dit-on, cela est contraire aux traités européens qui interdisent à la BCE de financer les États. Mais ces traités ont été allègrement violés quand il a fallu sauver le système financier en 2008 ou empêcher un effondrement économique total pendant la crise sanitaire. De plus, des moyens techniques existent pour les contourner. Cela pourrait par exemple passer par la création d’un établissement financier dédié à cet effet, comme dans le cas français la Banque publique d’investissement, qui demanderait un prêt auprès de la BCE. Cela est explicitement autorisé par l’article 123-2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). La France doit par ailleurs demander une réforme des traités européens, afin qu’y soient consacrés un rôle de prêteur en dernier ressort de la BCE, ainsi qu’une autorisation de découvert pour les Trésors nationaux sur leur compte à la banque centrale, utilisable en cas de crise. La politique monétaire doit redevenir l’objet de débats politiques et de décisions démocratiques au niveau national comme au niveau européen, et les politiques économiques européennes doivent être réellement coordonnées afin d’éviter le chacun pour soi.

Il faut par ailleurs créer un circuit du Trésor du 21e siècle qui, comme celui de l’après-guerre, garantira la stabilité du financement public, sans pour autant en reproduire les travers technocratiques. Le cœur de ce circuit sera formé par un pôle public bancaire, édifié autour des institutions financières publiques déjà existantes, à savoir la Caisse des dépôts et consignations, la Banque publique d’investissement et la Banque postale. Ce pôle public permettra d’orienter l’épargne populaire vers les investissements sociaux et écologiques stratégiques, via une logique mutualiste qui donnera directement aux citoyens un pouvoir de décision dans l’allocation du crédit à l’État et au secteur privé. N’étant pas soumis à la logique court-termiste de la rentabilité financière, il pourra ainsi être un acheteur important et stable de titres de la dette publique, dont la puissance publique fixera le taux. Par ailleurs, ce pôle aura naturellement accès aux liquidités fournies par la BCE dans le cadre de ses opérations de refinancement, ce qui facilitera d’autant ses achats de titres de dette publique (ces derniers constituant un collatéral de très bonne qualité). Les institutions financières privées doivent quant à elles être soumises à une réglementation plus stricte. Elles doivent avoir l’obligation de placer une partie de leurs avoirs en titres de la dette publique. Les activités spéculatives doivent par ailleurs être plus fortement taxées, afin de rendre plus attractifs les placements en titres de dette publique.

Enfin, il faut mobiliser l’outil fiscal pour diminuer le recours à l’endettement. Une révolution fiscale doit permettre de revenir sur les baisses d’impôt en faveur des plus riches consenties lors des derniers quinquennats, afin de dégager des marges de manœuvre budgétaires. L’impôt sur la fortune doit être rétabli et refondé pour taxer réellement les grandes fortunes, les successions les plus importantes doivent être lourdement taxées, les niches fiscales remises à plat, une forte progressivité sur l’impôt sur le revenu mise en place, tandis que l’évasion et la fraude fiscale doivent être combattues sans relâche.

Il est possible de mettre fin au chantage à la dette. L’Avenir en commun et son candidat Jean-Luc Mélenchon portent la cohérence et la volonté pour y parvenir.

[1] Jean-Marie Harribey, Pierre Khalfa, Jacques Rigaudiat : « Quoi qu’il en coûte : Sortir la dette des griffes de la finance », Fondation Copernic, Éditions Textuel, 2022

[2] La Tribune, 19 janvier 2022, https://www.latribune.fr/economie/france/dette-publique-la-banque-de-france-juge-irresponsable-de-parier-sur-un-maintien-des-taux-bas-902267.html

[3] Audition au Sénat, 1er février 2022, https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/au-senat-bruno-le-maire-insiste-sur-la-necessite-de-retablir-les-finances

[4] Capital, 27 janvier 2022, https://www.capital.fr/economie-politique/presidentielle-2022-fonctionnaires-decentralisation-les-programmes-tres-legers-des-candidats-pour-reduire-les-depenses-publiques-1426736

[5] Benjamin Lemoine : « La démocratie disciplinée par la dette », Éditions La Découverte, 2022

[6] Éric Berr, Léo Charles, Arthur Jatteau, Jonathan Marie, Alban Pellegris : « La dette publique – Précis d’économie citoyenne », Les Économistes atterrés, Éditions du Seuil, 2021

[7] Cf. graphique page 15, Intérêt général : « Dette publique : en finir avec les manipulations – Épisode III, Financer mieux et sortir de la coupe des marchés », note #15, mars 2021, https://interetgeneral.net/publications/15.html

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