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Billet de blog 31 mars 2022

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Le protectionnisme, un outil pour bifurquer

Les auteurs de ce billet sont Boris Bilia, statisticien économiste, Morvan Burel, secrétaire national de Solidaires Douanes, et Léo Charles, enseignant-chercheur à l'université Rennes II.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La pandémie du Covid-19 a accéléré la mise au grand jour des conséquences de la mondialisation néolibérale : forte dépendance des chaînes de valeurs, perte de souveraineté sanitaire et alimentaire, explosion des inégalités, désindustrialisation dans les pays du Nord et augmentation des pollutions mondiales[1]. La construction du commerce international sur un quadruple dumping (écologique, social, fiscal, démocratique) est plus que jamais néfaste pour les gens et la planète.

Affronter ces enjeux majeurs rend nécessaire une rupture radicale avec ces modes de production, de consommation et d’échange. La relocalisation de la production constitue une réponse puissante à ces défis, permettant de retrouver des marges de manœuvre souveraines sur la conduite de l’économie. Il s’agit de se dégager des choix d’éclatement de la production imposé par les multinationales et lutter efficacement contre les atteintes à l’environnement.

Pour cela, il existe un outil efficace : le protectionnisme. Il se définit comme un ensemble de mesures à disposition des gouvernements pour limiter les importations, la concurrence internationale, au profit du développement industriel du marché national. Dès lors, il n’y a pas un mais des protectionnismes que l’on peut différencier en fonction des buts visés et de leurs conséquences.

Le protectionnisme, un outil pour faire barrage au chantage compétitif

La dérégulation de l’économie à partir des années 1980 s’est appuyée sur la libéralisation des échanges commerciaux internationaux.

Cette mondialisation commerciale est pourtant présentée régulièrement comme une donnée économique, naturelle, qui se serait imposée par elle-même. Elle résulte au contraire de décisions délibérées des gouvernements successifs, directement ou par le biais de traités de libre-échange et de la mise en place d’institutions internationales de « régulation » telle que l’OMC.

Le libre-échange a eu pour principal effet de placer l’ensemble des espaces économiques en concurrence entre eux en privant les gouvernements de leur capacité d’intervention sur les échanges commerciaux. Ainsi, la ratification volontaire de ces accords par les acteurs politiques a organisé leur propre impuissance et donc la perte de souveraineté.

Une des premières conséquences de ces accords est le démantèlement des outils et tarifs douaniers des pays ayant signé ces accords de libre-échange. Ceci a directement permis aux détenteurs de capitaux de localiser leur production sur les espaces dans lesquels leurs coûts (salaires à verser, fiscalité à acquitter, normes à respecter) étaient les plus avantageux pour leurs profits directs, et donc les plus faibles.

Pour un pays comme la France, la désindustrialisation de son appareil de production s’est accélérée au fur et à mesure que les restrictions commerciales diminuaient.  Selon une étude, entre 1980 et 2007, les emplois industriels perdus s’élèvent à 1,9 million[2]. Ceci est particulièrement vrai dans des secteurs économiques essentiels aux besoins quotidiens : textile, électronique grand public, automobile, etc. Mais également dans des secteurs industriels stratégiques. Des bassins d’emploi ont été particulièrement touchés, et des régions entières dévastées, par exemple à Thiers (Puy de Dôme) avec l’affaiblissement de la coutellerie. Les 3000 suppressions d’emploi du secteur y ont provoqué la perte de 4500 habitants en 30 ans dans cette zone[3]. Aujourd’hui, ces zones d’emploi très vulnérables représentent 20 % de la population totale du pays, dans lesquels 70 % des revenus seraient désormais d’origine non marchande[4].

À l’opposé de tout processus démocratique, les politiques libre-échangistes cherchent à enfermer dans un carcan tout choix économique. Ainsi, les traités type CETA ou JEFTA instaurent des mécanismes juridiques, à l’instar des fameux tribunaux d’arbitrage[5], donnant la possibilité aux investisseurs privés d’attaquer les décisions démocratiques susceptibles de compromettre leurs intérêts.

Un gouvernement de transformation sociale et écologique doit opposer une logique inverse et développer tous les moyens afin de faire barrage au chantage compétitif. Cet outil, c’est le protectionnisme. Il se décline dans un ensemble de moyens mis en œuvre par un pays pour protéger son marché intérieur de la concurrence internationale. Par l’utilisation de mesures tarifaires (droits de douanes, quotas, etc.) ou non tarifaires (normes, contingentement), le protectionnisme vise donc à empêcher certaines importations et à en ralentir d’autres.

En tant qu’outil de politique économique, le protectionnisme ne constitue donc pas un objectif politique en lui-même. C’est un levier indispensable pour organiser la régulation des échanges commerciaux et un instrument politique renforçant les possibilités d’actions en matière économique et sociale.

À l’image des agricultures africaines dévastées par la mondialisation commerciale, cette logique n’est pas spécifique à la France mais s’applique également aux pays les plus pauvres pour protéger et développer leurs économies.  Les besoins de leur population deviennent prioritaires.

A l’inverse, le libre-échange les a contraints de privilégier des mono-productions destinées aux marchés d’exportation plutôt que répondre aux nécessités de développement locales. C’est le cas en particulier du Bangladesh qui a spécialisé sa production en matière textile, au point de devenir en quelques années le deuxième exportateur mondial. Cette spécialisation a été réalisée au moyen d’une attractivité obtenue par des droits sociaux très faibles : salaire horaire de 0,11 €, normes environnementales inexistantes, syndicats interdits, jusqu’aux normes de sécurité élémentaires des sites de production non respectées, qui a provoqué le drame dit du « Rana Plaza », du nom de cet immeuble de production textile qui s’est effondré, provoquant la mort de 1134 ouvriers.[6]

Les gouvernements des pays les plus riches, en particulier la Commission européenne, n’ont conclu des accords commerciaux que dans la seule logique de dérégulation et d’accès sans contraintes à ces marchés. Les pays les plus pauvres ont ainsi été dépossédés de leur souveraineté économique et incapables de mettre en œuvre une politique autonome du développement.

Le pacte faustien de Macron 

Les gouvernements libéraux proposent désormais, comme solution dans cet environnement de concurrence généralisée, d’accentuer la recherche « d’ajustements structurels », permettant à la France de redevenir « attractive ». Il s’agit en réalité de niveler les normes par le bas. Chercher à courtiser les investisseurs afin de leur quémander de localiser la production sur notre sol, cela revient à abandonner nos droits sociaux, et à laisser fixer la fiscalité et les règles environnementales par les entreprises, selon les exigences de capitalistes. En d’autres termes, de jouer le jeu des « dumpings » ou moins-disant qu’exigent le libre-échange. C’est céder toujours plus au chantage compétitif.

Les appels à la relocalisation, à la réindustrialisation et à l’écologie qui ne proposent pas l’outil protectionniste resteront inévitablement lettre morte s’ils n’envisagent pas de revoir les cadres de la mondialisation actuelle et son fonctionnement construit sur la course aux moins-disant sociaux, écologiques et fiscaux.

Tout appel à la relocalisation comme le fait le président Emmanuel Macron, sans aucune restriction commerciale ou barrière aux échanges, revient donc à formuler un vœu pieu ou concourir à la « bangladeshisation » de la France. Un nouveau quinquennat Macron ne cherchera jamais à attaquer les profits privés ou la liberté d’installation des capitaux. Sa logique de réindustrialisation revient donc à détruire les droits sociaux pour s’aligner par le bas avec les systèmes productifs des pays les plus pauvres. On l’entendrait presque : « Vous voulez du « made in France » ? Il va falloir trimer ! »

Le protectionnisme comme objectif en soi et sans mesures sociales est une impasse

Certains amis des profits nationaux, comme le Rassemblement national ou une frange de la droite nationaliste, défendent également des mesures protectionnistes. Pour eux, le protectionnisme n’est qu’un fétiche agité dans le seul objectif d’ajouter une composante à une orientation patriotique. S’il l’a un temps revendiqué, le RN est d’ailleurs toujours resté très vague sur le contenu du protectionnisme qu’il entend déployer s’il arrivait au pouvoir, se contentant pendant la campagne de 2019 des élections européennes d’évoquer une surtaxation des « importations mondialisées anti-écologiques »[7].

Ce positionnement s’apparente à l’utilisation bruyante du protectionnisme par Donald Trump. Ici, le protectionnisme s’inscrit dans une logique nationaliste, qui relève d’une volonté de guerre impériale et commerciale, dirigée de façon exclusive et obsessionnelle contre la Chine dans le cas des États-unis. Cette stratégie, que l’on peut qualifier de néo-mercantiliste, n’a même pas atteint un des objectifs affichés, qui consistait à relocaliser sur le sol américain les activités de production installées en Chine par les firmes américaines. En effet, les industriels américains ont réagi à ces mesures anti-chinoises en déplaçant leur activité de la Chine vers d’autres pays (essentiellement le Vietnam ou l’Inde)[8], non ciblés par les mesures de l’administration Trump, et dans lesquels leurs avantages compétitifs (bas coût du travail, fiscalité avantageuse) étaient préservés.

À rebours de cette logique agressive et non coopérative, l’outil protectionniste d’un gouvernement de gauche n’est pas centré sur la recherche de gains commerciaux, qui se réalise toujours au détriment d’espaces souverains tiers. L’utilisation du protectionnisme s’inscrit dans une logique d’affirmation de la souveraineté du gouvernement qui l’utilise, mais doit se réaliser dans le cadre d’une démarche coopérative avec les autres espaces souverains, particulièrement les pays voisins et les pays les plus pauvres.

La politique commerciale du progrès doit refuser les logiques concurrentielles et dévastatrices. Par un réel « gouvernement des échanges »[9], une telle politique refuserait les accords de libre-échange globaux et ciblerait la nature des échanges à promouvoir pour le développement équilibré des parties au traité. Surtout, le contenu commercial de l’accord pourrait n’être qu’une composante d’un ensemble ambitieux, comprenant également des aides au développement, des logiques de protections mutuelles, des coopérations scientifiques ou sanitaires, par exemple.

Relocalisation et bifurcation écologique et sociale

Les outils protectionnistes permettent de mettre en place une véritable politique de re-localisation. Plutôt que de viser à chercher à rapatrier des unités de production précédemment parties à l’étranger « quoi qu’il en coûte » (même sur le plan environnemental), le protectionnisme permet de redonner la possibilité aux entreprises françaises, en particulier les PME, de produire sur le marché local, en circuit court, à l’abri de la concurrence déloyale internationale. Une politique protectionniste ambitieuse sur les critères sociaux et écologiques permettra de concrètement refonder le tissu productif français, sur des bases écologiques plus saines. À ce titre, la commande publique locale, la formation professionnelle et les plans d’investissement de moyen terme sont des outils complémentaires d’une politique assumée de souveraineté industrielle.

Face à l’urgence climatique, il est nécessaire de penser et construire cette réindustrialisation dans l’objectif de réussir la bifurcation écologique. Protéger les jeunes industries innovantes sur le plan écologique permet un développement serein, non soumis aux tensions de la concurrence internationale et de protéger les droits sociaux des salariés. Notre pays se verra donc doté d’industries de pointe capables de produire en France des technologies et des marchandises écologiquement et socialement responsables.

Plus généralement, gouverner les échanges permet de limiter les effets de dumpings à travers le monde et ainsi de développer les protections pour les travailleurs et travailleuses de toute la planète. En effet, la recherche des « ajustements structurels » sous couvert de compétitivité se fait toujours au détriment du travail.

Négocier pour protéger

La cohérence entre territoire souverain, au sens de l’application de normes communes et d’institutions légitimes, et mesures de protection aux frontières, est essentielle.

C’est parce que ce postulat n’est pas respecté qu’un problème particulier se pose pour l’Union européenne. Dans cet espace, les législations économiques et sociales demeurent pour une part essentiellement édictées par les Etats nations (en particularité le niveau de fiscalité, de prestations sociales ou le salaire minimum), alors que les mesures douanières ne s’appliquent qu’aux frontières de l’UE. Les marchandises et capitaux y circulent sans aucune restriction, toute mesure y contrevenant est contraire aux textes fondamentaux de l’UE (articles 30, 34 et 35 du TFUE) : c’est le principe du marché unique.

L’une des caractéristiques fondamentales de l’UE, prévue dès les traités fondateurs de 1951 et 1957, consiste donc à supprimer tout droit de douane sur les marchandises échangées entre les Etats membres (ce qui sera effectif dès 1968), tout en confiant à l’entité supranationale la compétence sur les mesures commerciales et douanières.

La construction de ce dispositif ne s’est accompagnée d’aucune mesure effective d’harmonisation des législations, alors même que les écarts de standards sociaux et fiscaux sont très importants (fiscalité irlandaise sur les entreprises, droit social espagnol, niveau des salaires en Roumanie, etc). Le résultat est que l’installation des chaînes de production sur les espaces les plus favorables aux intérêts capitalistes y joue à plein : 55 % des délocalisations subies par la France ont eu lieu à l’intérieur de l’espace européen.

Pour les Etats membres de l’UE, qui souhaitent rompre avec cet effet dumping, il n’y a pas d’alternative soit ils sont en capacité de faire aboutir rapidement l’harmonisation sociale et fiscale européenne, soit les compétences économiques, sociales, commerciales et douanières doivent être entièrement rétrocédées aux Etats.

La question de l’espace de souveraineté dans lequel doit s’inscrire le protectionnisme français se pose donc et constitue l’un des verrous à sa mise en place. Plus globalement, l’efficacité de l’outil protectionniste pour un projet de rupture est intimement liée à la coordination entre les différents espaces de souveraineté. Les exemples des Etats-Unis de Trump ou de la France au XIXème siècle montrent que des stratégies de protectionnisme non coopératifs se soldent par des guerres commerciales.

Il convient donc de refonder la mondialisation sur de nouvelles bases. Là où le GATT puis l’OMC ont imposé le libre-échange à tous les pays, il est nécessaire de se doter d’instances internationales capables de réguler et d’organiser le commerce international. Nous pouvons alors prendre exemple sur la première mondialisation en Europe qui, à la fin du XIXème siècle, s’est construite sur la base d’accords protectionnistes négociés. Ainsi, plutôt que de contraindre les pays à abaisser leurs droits de douanes et leurs protections, ces nouvelles instances auraient en charge de récolter les besoins de protections de chaque Etat, quels types d’industries ils souhaitent développer etc. Chaque pays se verra ainsi écouté dans ses besoins et les modalités de développement qu’il a choisies et obtiendra donc le « droit » au protectionnisme dans ces secteurs en contrepartie de l’acceptation que d’autres pays se protègent aussi. L’objectif est double : éviter les guerres économiques qu’entraîne le libre-échange dérégulé et empêcher les guerres commerciales engendrées par le protectionnisme nationaliste.

Des mesures concrètes

Le protectionnisme ne constitue pas une pratique uniforme, et ne doit pas être compris comme une alternative autarcique à la dérégulation absolue mise en vigueur ces dernières décennies. Il doit s’agir au contraire d’un outil caractérisé par un ensemble de mesures plurielles et évolutives, utilisées pour atteindre un objectif politique défini.

Un Etat disposerait ainsi de plusieurs leviers, qu’il pourrait actionner en fonction de ses priorités du moment. L’utilisation de droits de douane (comme la taxe carbone aux frontières) est ainsi indiquée pour protéger la production nationale relevant de l’économie marchande, soumis à une forte concurrence mondiale, sans lesquels l’installation d’une filière territoriale durable n’est pas envisageable. Cela concerne des biens de consommation aussi essentiels que le textile, l’électronique ou les vélos.

Les produits obtenus dans des conditions considérées comme illégales en France seraient tout simplement prohibés, comme les gaz et pétroles de schiste, la viande d’élevage obtenue avec l’utilisation d’OGM ou d’hormones, par exemple.

Accepter, comme aujourd’hui, l’importation sans mesures correctrices de produits obtenus dans un espace tiers dans lesquels les normes sont radicalement différentes de celles appliquées sur notre sol (par exemple les produits textiles du Bangladesh, où les droits sociaux sont très peu protecteurs), c’est, in fine, démonétiser ces dernières et les priver de toute substance.

Loin d’être une fin en soi, un but à atteindre, le protectionnisme est au contraire un outil nécessaire à la réalisation d’une politique progressiste favorable aux travailleurs et travailleuses. Il permet aussi de mener la bifurcation écologique en rendant possible la réindustrialisation dans les industries de la transition et le développement des circuits courts. C’est aussi une nécessité pour mettre fin à la mondialisation néolibérale et entamer la refondation du commerce international sur des bases saines, décidées en concertation avec l’ensemble des partenaires.

[1] Voir Léo Charles, « Le Covid-19, révélateur des contradictions de la mondialisation néolibérale », Note des Economistes Atterrés, 20/03/2020.

[2] Lilas Demmou « le recul de l’emploi industriel en France entre 1980 et 2007 – ampleur et principaux déterminants : un état des lieux », Économie et statistiques, n°438-440, 2011.

[3] Le Monde, 16 octobre 2012

[4] Laurent Davezies, La crise qui vient : la nouvelle fracture territoriale, Paris, Seuil, 2012

[5] Sur ce sujet, voir par exemple, Attac, « Interdisons les tribunaux d’arbitrage – un monde pour les gens, pas pour les profits », france.attac.org, 22 janvier 2019 ou CCFD – Terre Solidaire, « Lutter contre le scandale des tribunaux d’arbitrage internationaux », bilaterals.org, 2 ocotbre 2019

[6] Le Monde, 25 septembre 2013, Libération, 23 avril 2015

[7] France Inter, 15 avril 2019

[8] Philip S. Golub, Le Monde diplomatique, octobre 2019

[9] Voir Intérêt général, Contre le dumping, le protectionnisme : Bâtir un « gouvernement des échanges » régulateur, note #12, mars 2021.

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