Le 5 février 2023 déjà, un "référendum constitutionnel à questions multiples" avait été organisé, et l'ensemble des propositions rejetées. Ce qui a sans doute motivé le président de l'époque, Guillermo Lasso, à dissoudre l'Assemblée Nationale où il n'avait pas de majorité solide, et entraîné l’organisation d’élections présidentielles anticipées.
Durant la campagne, Fernando Villavicencio (candidat progressiste, anti-corruption…) a été assassiné en sortant d’un meeting, le 9 août 2023 à Quito... Ce crime n'est, malheureusement, que l'un des plus récents chapitres d’une spirale de violence organisée qui dure depuis environ cinq ans dans le pays. On assiste à la triste métamorphose d’un pays qui était le deuxième pays le plus sûr d’Amérique latine, et qui est devenu le plus violent.
C’est finalement le candidat de la droite libérale qui a été élu et a pris ses fonctions en novembre 2023. Daniel Noboa est le fils de l’homme le plus riche du pays, ayant fait fortune avec l’industrie bananière. Il possède lui-même plusieurs plantations (qui font l’objet de dénonciations pour de mauvaises conditions de travail). Il faut dire que l'Equateur est le premier exportateur mondial de bananes, produites dans des conditions extrêmement difficiles.
En janvier, l'évasion de deux chefs de gangs s'est accompagnée d'une flambée de violences : mutineries dans les prisons, prises d’otages, assassinats de fonctionnaires... Le nouveau président a déclaré le pays en état de "conflit interne armé", déployé l’armée dans les rues, et instauré un couvre-feu pour une durée de 3 mois.
Cette situation est d'autant plus alarmante qu'elle a permis au gouvernement d'adopter, sans grande résistance, des mesures impopulaires (telles qu'une augmentation de la TVA), et semble propice à la répression des défenseuses et défenseurs des droits humains et de l'environnement, facilement qualifié∙e∙s de terroristes.
Les questions posées à la population
Le 21 avril 2024, les Equatoriennes et Equatoriens devront répondre "oui" ou "non" à 11 questions, dont 5 engagent une réforme de la Constitution (c'est pourquoi il s'agit d'un "référendum constitutionnel") et 6 portent sur d'autres textes législatifs ("consultation populaire" en complément du référendum).
L'ensemble des questions portent sur la sécurité et la justice... mais deux questions ont été glissées pour affaiblir le code du travail et autoriser des investisseurs privés à attaquer des lois contraires à leurs intérêts.
Il s'agirait de modifier la Constitution pour :
> autoriser le soutien de l’armée aux activités de police en dehors des états d'exception,
> autoriser l'extradition d'Équatorien∙ne∙s,
> créer des tribunaux constitutionnels,
> autoriser le recours à des dispositifs privés d'arbitrage des différends entre des investisseurs et l'Etat équatorien (ISDS, en anglais),
> autoriser le recours à des contrats de travail précaires actuellement interdits.
Il s'agirait aussi de modifier d'autres textes législatifs pour :
> autoriser les forces armées à effectuer des contrôles permanents des armes à l'entrée des prisons,
> alourdir les peines pour certains délits et crimes,
> réduire les possibilités d'aménagement de peines,
> autoriser les membres de l'armée et de la police à conserver leurs armes en dehors de leurs fonctions,
> autoriser l’usage immédiat par l’armée et la police des armes et munitions saisies dans le cadre de délits,
> simplifier le processus de saisie des biens illicites.
Un référendum pour réduire les droits des travailleuses et travailleurs
Nous avons interrogé le syndicat ASTAC, qui défend notamment les personnes employées dans les plantations de bananes, au sujet des réformes proposées dans le cadre de ce référendum. Son coordinateur, Jorge Acosta, est très inquiet :
"Avec le nouveau type de contrat proposé, les entreprises ne seraient plus obligées de rémunérer les travailleur∙se∙s en cas d'interruption de l'activité, ni de les indemniser à la fin du contrat. Elles pourraient embaucher une personne pour seulement quelques semaines, voire quelques heures, sans justification particulière. Cela augmenterait beaucoup la précarité et diminuerait les possibilités de négocier ses conditions de travail, d'autant plus que ces contrats ne permettent pas d'être représenté par un syndicat !"
Actuellement, les plantations de bananes emploient déjà des ouvrières et ouvriers sur de courtes durées, mais c'est illégal. Il est donc possible, au moins théoriquement, de contester ce fonctionnement.
"Ces pratiques existaient déjà avant la pandémie, mais se sont renforcées depuis et sont utilisées par les grandes entreprises du secteur, en particulier dans les plantations appartenant à la famille du président, et c'est ce que nous dénonçons dans tous les espaces possibles ! Les personnes employées "sous contrat émergent" travaillent entre 12 et 14 heures par jour, ne sont payées que pour les jours travaillés et n'ont aucun droit..."
... et réduire les marges de manœuvre de l'Equateur face aux multinationales
La Constitution adoptée en 2008 a interdit à l'Etat équatorien la signature d'accords commerciaux autorisant des entreprises privées à saisir un mécanisme privé d'arbitrage et demande d'importantes indemnités en cas de politique publique contraire à leurs intérêts.
Ces dispositifs (Investor-State Dispute Settlement ou ISDS, en anglais), figurent dans des centaines d'accords de libre-échange et freinent toute velléité d'adopter des mesures de santé publique, de protection de l'environnement ou des personnes qui risquent de réduire les profits des entreprises transnationales.
Depuis l'adoption de la Constitution de 2008, les grandes entreprises présentes en Equateur ont systématiquement attaqué cet article, en arguant qu'il restreint la capacité du pays à recevoir des investissements étrangers. Une Commission d'audit complet des traités d'investissement et du système d'arbitrage (CAITISA) a cependant montré en 2017 que l'Équateur n'a pas besoin de traités incluant ce type de clause pour attirer des investisseurs : une grande partie des investissements provient de pays avec lesquels l'Équateur n'a signé aucun traité, comme le Brésil, le Mexique et le Panama.
Avant l'adoption de cet article dans la Constitution, l'Etat avait dû verser, en tout, 2,9 milliards de dollars américains à des investisseurs étrangers, saisissant un mécanisme d'arbitrage privé contre des mesures d'encadrement des activités extractives (pétrole, minerais...).
Alors que des pays comme le Brésil, l'Inde et même les Etats-Unis se sont opposés à la signature d'accords les privant ainsi de leur souveraineté, pourquoi l'Equateur devrait-il autoriser de nouveau des mécanismes aussi dangereux ?
Avec une centaine d'autres organisations dans le monde, ActionAid France appelle l'Equateur à défendre sa souveraineté : l'Equateur n'est pas à vendre (tribune publiée en espagnol et en anglais).