Depuis plusieurs mois, la Commission européenne prépare un projet de directive sur "la gouvernance durable des entreprises". Cette directive s'inspirerait, en partie, de la loi française sur le devoir de vigilance des sociétés-mères et entreprises donneuses d'ordre, adoptée en mars 2017, et d'autres législations en cours de discussion en Europe.
Alors que les organisations représentant les entreprises militent activement pour une directive peu contraignante, voire simplement incitative, ActionAid France fait partie de plusieurs coalitions de syndicats et d'ONG qui plaident pour réduire la quasi-impunité dont jouissent à présent les entreprises coupables ou complices de violations de droits humains.
D'après un sondage publié par Yougov en octobre, plus de 80 % des citoyen·ne·s européen·ne·s souhaitent également que les entreprises soient tenues de s’assurer qu’elles ne sont pas impliquées dans des violations des droits humains, y compris en dehors de l'Europe, et que les victimes d'abus en dehors de l’Union européenne puissent poursuivre en justice les entreprises impliquées.
Alors que l’année 2020 a été la plus meurtrière jamais enregistrée à l’encontre des défenseuses et défenseurs des droits humains et de l'environnement dans le monde, il y a urgence à agir.
Mais des mesures de vigilance mal pensées peuvent nuire aux femmes et aux personnes en butte à des stéréotypes de genre, en particulier lorsque le contexte d'intervention de l'entreprise n'est pas pris en compte. C'est ce qui ressort du rapport d'ActionAid pour un devoir de vigilance intégrant la dimension de genre.
C'est pourquoi une soixantaine d'organisations, dont ActionAid, viennent d'interpeller la Commission européenne, autour de 8 recommandations :
- rédiger la directive en s'appuyant sur les conventions existantes, comme la Convention n°190 de l'Organisation internationale du travail (OIT) contre les violences et le harcèlement au travail,
- créer un régime de responsabilité ferme permettant aux victimes d’accéder à la justice et d’obtenir promptement réparation,
- couvrir l’intégralité des chaînes d'approvisionnement, y compris les activités menées sans contrat ou à domicile par exemple,
- concerner les filiales et sous-traitants de toutes tailles, sachant que les entreprises européennes s'approvisionnent souvent auprès d'une myriade de petites et moyennes entreprises,
- identifier clairement les violences sexistes et sexuelles comme des atteintes aux droits humains,
- contraindre les entreprises à analyser l'impact direct et indirect de leurs activités pour les femmes,
- contraindre les entreprises à imposer des mesures de prévention qui protègent effectivement les personnes les plus vulnérables en raison de leur genre, mais aussi de leur âge, statut administratif, etc.
- inclure les pratiques d’achat des entreprises dans le cadre de ces analyses et de ces mesures de prévention, puisque des pratiques d’achat déloyales ont de multiples répercussions, notamment sur le respect des droits des femmes.
La future "directive sur la gouvernance durable des entreprises" doit garantir que les entreprises européennes n’aient pas d’autre choix que de modifier leurs pratiques et leurs modèles économiques, de s’acquitter des coûts nécessaires pour éviter des dommages aux personnes, et, dans le cas où elles échoueraient à le faire, d’en assumer les conséquences judiciaires et administratives.
Nous ajoutons qu'elle doit absolument intégrer une dimension de genre, c'est-à-dire imposer l'identification et la réduction des préjudices frappant spécifiquement ou majoritairement les femmes et les personnes jugées non conformes aux stéréotypes de genre.
Alors que les femmes représentent jusqu'à 90% de la main-d'oeuvre employée dans les plantations et les serres, les ateliers et les usines, la directive ne peut rester "neutre" sans leur porter préjudice.