Ca y est. La nouvelle stratégie commerciale de l’Union européenne a été récemment rendue publique par la Commission européenne. C’est maintenant aux États membres et au Parlement européen d’y réagir.
On l’attendait de pied ferme. Pourquoi ? Parce que la pandémie a exposé les violations systémiques des droits des personnes travaillant dans les chaînes d’approvisionnement mondiales – telles les ouvrières textiles licenciées sans indemnités décentes en Asie, suite à la diminution des commandes occidentales dans le prêt-à-porter. Parce que l’impact sur le climat du commerce international et du modèle économique qu’il encourage ne peut plus être ignoré. Parce qu’un nombre croissant d’Européens souhaitent acheter une nourriture saine produite localement – et non des produits importés du bout du monde avec un coût environnemental et social considérable.
Un exemple : L’Europe importe massivement du soja pour nourrir les élevages intensifs. Ce soja empiète sur des forêts et savanes telles l’Amazonie et le Cerrado au Brésil, déplaçant les populations des terres où elles ont toujours vécu. L’accord commercial entre l’UE et le Mercosur, qu’il est encore temps de ne pas ratifier, va encourager ces exportations vers l’Europe, et donc la déforestation. Pourtant, la Commission européenne le présente comme un bon accord pour l’environnement parce qu’il permettra aux Européens et aux Sud-Américains de parler du climat. On ne voit pas très bien ce qui les empêche de parler du climat, même sans accord commercial ! On voit par contre très bien comment cet accord encouragera les grands propriétaires terriens brésiliens à produire toujours plus de soja.
La principale proposition pour donner plus de place aux questions sociales et environnementales dans la politique commerciale européenne est de nommer une personne pour recevoir des plaintes en cas de violation des droits humains dans les pays avec lesquels nous avons des accords commerciaux. C’est dérisoire vu l’ampleur des atteintes aux droits fondamentaux dans nombre de ces pays – violations que nous connaissons pertinemment avant même de conclure ces accords. Les entreprises multinationales s’approvisionnent dans nombre de pays où les coûts de production sont moindres qu’en Europe, notamment parce que les travailleurs sont mal payés, les entraves à la liberté syndicale légion, et les réglementations en matière environnementale faibles ou mal appliquées. Le modèle économique hyper-mondialisé est fondé sur ces inégalités. Prétendre qu’une personne recevant quelques plaintes va résoudre le problème est un leurre.
Par ailleurs, le mandat de cette personne n’inclut pas les violations des droits humains occasionnées par les accords de commerce eux-mêmes – des limitations des droits des paysans à échanger des semences traditionnelles aux droits de propriété intellectuelle limitant l’accès aux médicaments ; des restrictions à la possibilité pour les pays en développement de traiter plus favorablement leurs industries naissantes que les entreprises européennes, aux exportations de lait en poudre subventionné par la politique agricole commune, qui ruinent les éleveurs locaux dans certains pays africains.
Alors quoi, contre la mondialisation, contre le commerce international ? Non ! La mondialisation fait partie de notre vie, notre modèle économique est dépendant d’approvisionnements venant du monde entier. Mais cette expansion sans bornes de la production, de la consommation et des échanges internationaux nous mène dans le mur. La mondialisation doit être réfléchie, équitable, et le volume global des biens produits, échangés et consommés doit impérativement diminuer.
La législation européenne en préparation sur la gouvernance des entreprises jouera un rôle fondamental pour des chaînes d’approvisionnement plus vertueuses. Il en va de même de la législation annoncée pour interdire l’importation de produits ayant contribué à la déforestation.
Mais nos accords commerciaux ont également un rôle à jouer, en complément de ces nouvelles réglementations. Ces accords devraient préserver la capacité des gouvernements des pays du Sud à légiférer pour protéger le bien public plutôt que les obliger à ouvrir à la concurrence des secteurs de leur économie qui ne sont pas prêts à l’affronter. Nos gouvernements devraient également s’engager à réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux produits importés – sujet tabou s’il en est. La « nouvelle » politique commerciale est silencieuse sur ces questions. Les accords de commerce peuvent également encourager la transition agroécologique et protéger les circuits alimentaires courts plutôt qu’encourager les monocultures intensives de matières premières agricoles exportées vers l’Europe pour notre industrie agroalimentaire. Il y a d’ailleurs là un espoir : La nouvelle stratégie prévoit d’inclure un chapitre sur les systèmes alimentaires durables dans les nouveaux accords de commerce !
La politique proposée prétend remettre l’économie européenne sur pied en boostant les exportations, comme après la crise de 2008. Mais depuis 2008, la reprise de la croissance a bénéficié de façon scandaleusement disproportionnée aux plus riches, tandis que nos services publics de santé et d’éducation ont été abimés. Sans parler de l’impact de ce modèle économique sur le climat. La politique commerciale a son rôle à jouer pour répondre aux défis du 21ème siècle - pandémies, changement climatique ou inégalités. Il faudra pour cela enfin acter dans les traités de commerce que les normes environnementales et sociales prévalent sur le droit commercial et les intérêts économiques particuliers.
Par Isabelle Brachet, Responsable du plaidoyer européen chez ActionAid International