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Billet de blog 23 décembre 2018

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Aquaman, parabole océane sur le métissage tout-puissant

Dans ce Fast and Furious à dos d’orques et d’hippocampes, un héros de sang mêlé rugit vingt mille lieues sous les mers. Fils de la terre, dieu des eaux, il est le sauveur d’une humanité tristement pollueuse. Vaste fresque kitsch aux couleurs Dragibus, Aquaman est une orgie visuellement magistrale où les ADN mêlés font des miracles.

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Illustration 1
© DC Comics

AquaMcQueen

            L’Aquaman de James Wan prouve, d’abord, qu’Alexander McQueen n’est pas mort. Avant de se suicider, McQueen, le couturier britannique obnubilé par les crânes, les viols et les cervidés, livra sa dernière collection au monde : Plato’s Atlantis. Peuplé de femmes-méduses humanoïdes aux écailles irisées, ce spectacle resplendissait aux yeux du monde entier. Défilé visionnaire pour la première fois proposé au grand public en streaming, il réconciliait sérail de la mode et masses populaires. Une explosion zoologico-artistique surgie du fond d’une mer fantasmatique. Le plastron du super-héros semble être fait du même alliage onirique que les Armadillo Shoes de McQueen. Aquaman charrie les obsessions marines kaléidoscopiques du défunt créateur : chatoiement des carapaces, cuirasses de coquilles, mosaïques de conques.

Hiéroglyphes d’encre sur Musclor hawaïen

           La peau d’Arthur Curry, mi-homme, mi-poisson, est elle aussi stylisée : son épiderme est couvert de tatouages. Des hiéroglyphes d’encre sur un Musclor hawaïen. On se souvient alors que le mot portugais « métice », au dix-septième siècle, désignait ceux dont les géniteurs avaient des phénotypes différents. Entre-deux congénital, Arthur est un monstre. Enfant, il est montré du doigt par ses imbéciles congénères. Jason Momoa, à qui le speedo jaune pivoine allait parfaitement bien dans Alerte à Hawaï, était parfait pour le rôle. Océanien d’1m93 aux origines hawaïennes, allemandes, irlandaises et amérindiennes, ce colosse barbu bodybuildé a la crinière brune aux pointes blondes d’une égérie L’Oréal Paris. Un molosse aqueux au trident d’or. Une autre étrange bête métisse issue de deux mondes plane sur le film. Un plan furtif révèle au spectateur attentif la présence d’un exemplaire de L’Abomination de Dunwich, la nouvelle fantastique de H.P. Lovecraft. Son protagoniste de plus de deux mètres et aux oreilles pointues, Wilbur Whateley, a une face de bouc sans menton. Un clin d’œil, sans doute, que ce livre posé sur une table basse dans une maison où un terrien s’accouple avec une sirène en combinaison nacrée.

James Wan, tatoueur de rétines

          James Wan tatoue les rétines. Impossible d’oublier l’architecture liquide du film qui n’est pas sans rappeler celle d’une autre nouvelle de Lovecraft, L’Appel de Cthulhu, où tout est anormal et non euclidien. Wan jubile à faire tournoyer des personnages digitalisés dans des tourbillons pugilistiques qui explosent entre deux majestueuses statues de pierre moussues. Platon inventa l’Atlantide. Alors que dans la cité d’Athènes régnait la justice, l’Atlantide brillait par sa démesure. Aquaman, lui aussi, est hubristique jusqu’où vertige.

Le film d’un grand obsédé 

          Le premier tweet du réalisateur laissait présager de sa folie monomaniaque : le titre provisoire du long métrage était Ahab. Le nom original d’Achab, le capitaine fanatique de Moby Dick de Melville. C’est avant tout un torrent de références qui emporte le spectateur : Aquaman, c’est Où est Charlie ? sauf que Charlie se cache dans Star Wars, Indiana Jones, Tron, Les Chevaliers du Zodiaque, Avatar, Le Choc des Titans, Thor, Games of Thrones, Black Panther, Valerian, SplashLe Seigneur des AnneauxKarate Kid, Matrix, Tigres et Dragons, Taken, Tekken, etc etc. Et lorsqu’une pieuvre joue de la batterie, c’est un remake de la chanson Sous l’océan de La Petite Sirène – à laquelle Mera, compagne d’Aquaman, doit beaucoup, capillairement parlant. Aquaman est une immense vidéothèque sous-marine, un salmigondis hollywoodien au script métis.

Mise en abysse

          Certes, on se demande parfois si Joel Schumacher, le papa des Batman criardissimes des années 90, n’est pas passé donner deux ou trois idées lors de la post-production. Nicole Kidman - rendue immortelle par les crèmes au rétinol, la lumière pulsée et les peelings chimiques -  se ridiculise brillamment scène après scène. Aussi expressive que le pantin tueur aux joues peinturlurées de Saw (premier coup de maître de James Wan), elle est néanmoins belle comme le jour dans sa robe-poncho rebrodée de sequins. Un clip d’ABBA à elle toute seule. Reste que le générique de fin, mise en abîme du processus créatif où se dévoilent maquettes et figurines sur fond de paillettes et de musique d’Eurovision, révèle avec force et lyrisme la beauté abyssale de l’hybridation et du croisement. 

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