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Billet de blog 31 mars 2017

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Chrétiens pour l'école laïque. Par Monique Cabotte-Carillon

Monique Cabotte-Carillon Présidente de l’association nationale C.E.D.E.C (Chrétiens pour une Église Dégagée de l’école Confessionnelle) et auteur du livre Citoyens d'abord, croyants peut-être, laïques toujours. L’Harmattan

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 Je voudrais vous présenter ce que peuvent être la pensée et l'action de certains chrétiens qui, non seulement souhaitent défendre l'école publique, mais aimeraient y retro

   Voilà une introduction quelque peu abrupte, mais vous êtes en droit de savoir d'entrée de jeu le fond de ma pensée. Cela peut aussi éviter les malentendus dans le débat ultérieur.

     Une précision indispensable : le terme « chrétien » ayant un champ lexical assez large, je dois avoir recours à une brève présentation personnelle pour que vous sachiez à quelle « espèce » j'appartiens. Il se trouve que je suis née dans une famille catholique. J'ai donc été amenée, ayant été baptisée enfant, à ratifier ce baptême catholique. Mais l'adhésion à une foi est une chose, la défense d'une institution chargée de la présenter en est une autre, cela dit malgré la vénération excessive des évêques français, par exemple, pour le mot « unité ». Il n'est pas nécessaire d'être sociologue patenté pour savoir que ce terme d'unité n'est qu'un leurre. Si j'étais née dans une famille protestante, il m'aurait été plus facile de défendre la laïcité. La communauté protestante a eu un net métro d'avance quant à une adhésion raisonnée à l'esprit de laïcité. Mais il faut reconnaître qu'aujourd'hui les ruptures d'unité ne les épargnent pas (les groupes évangélistes me semblent assez proches de plusieurs groupes charismatiques catholiques, et pas seulement sur le plan de la liturgie). Mes connaissances en ce qui concerne les orthodoxes sont médiocres et je m'abstiendrai de tout commentaire à leur sujet.

     Autre élément de présentation important pour notre échange d'aujourd'hui. J'ai aussi été sollicitée en tant que présidente de l'association CEDEC, sigle dont l'explication va peut-être vous remplir d'aise : Chrétiens pour une église Dégagée de l'école Confessionnelle. C'est à ce titre que je m'exprimerai maintenant.

     Cette association, créée en 1983, dont les adhérents sont répartis dans divers départements, apporte une parole critique puisqu'elle demande à l'église catholique institutionnelle de se « dégager » de ce qu'elle croît être indispensable à sa tâche : l'école catholique. Non, cette école confessionnelle n'est pas par excellence l'école des chrétiens ; ce que dit l'église catholique sur ce sujet a des    conséquences pour la société. Pour nous, il s'agit de faire en sorte que l'état, représentant officiel de cette société, d'une part, et l'église d'autre part, aient chacun leur autonomie de parole et d'action. On retrouve là le principe juridique de la laïcité.

     De notre feuillet de présentation de nos convictions, j'extrais quelques phrases :

        Les motivations du CEDEC sont d'abord citoyennes : Même si l'école catholique affirme ne pas vouloir pratiquer un prosélytisme direct envers ses usagers – ce qui fait partie des obligations contractuelles avec l'état – son inévitable caractère religieux (son « caractère propre ») est affiché dans ses statuts. On est donc bien dans la catégorie des activités religieuses (« cultuelles ») ne pouvant bénéficier de l'argent public, selon la loi de séparation... la loi oblige l'état à soutenir financièrement et semble encourager... un élément fondamental du dangereux communautarisme.

        D'autre part, il semble aux adhérents du CEDEC que le système libéralo-concurrentiel fortement inégalitaire... est aux antipodes de la démocratie.

        Ces motivations sont, en deuxième lieu, d'ordre évangélique. L'école publique...n'est pas une école d'état. L'église aurait dû... encourager les croyants à se joindre, dans tous les cas, aux autres citoyens, quand ils œuvrent collectivement... pour faire progresser sans cesse leur humanité.

       [Par] les échanges libres et écoutants, d'égal à égal avec tous les autres [les élèves] acquièrent l'indépendance d'esprit indispensable à un choix réfléchi de leurs convictions.

     J'ajouterai, en tant que lectrice de l'évangile, une remarque personnelle : je n'ai lu nulle part qu'il était conseillé à ceux qui portaient attention aux propos du Christ de vivre à l'écart des membres de la société de l'époque. Ce serait même plutôt le contraire...

    Avoir des convictions, c'est bien, encore faut-il les mettre en application.

      En dehors des courriers adressés aux adhérents trois fois par an, courriers qui rendent compte de nos activités et de tout ce qui nous paraît essentiel dans les démarches vers une société laïque, ici et ailleurs, communication somme toute restreinte. Parallèlement, nous avons été présents sur des chantiers qui dépassent celui de l'école. Certes, ce dernier est le sujet spécifique de cette rencontre, mais il me faut rendre compte des actes qui nous ont conduits à cheminer aux côtés d'associations aux objectifs beaucoup plus larges que les nôtres. Notre audience s'en est trouvée élargie. Avant de reprendre le « fil » du récit de quelques menus faits s'insérant dans notre engagement pour l'école publique, je voudrais commencer par évoquer ce que furent les temps forts de notre réflexion ; si cette dernière a besoin d'être alimentée, l'effort gagne à être collectif. Ouverts à tous, les colloques ont rempli cette tâche.

     Les colloques ont lieu tous les deux ans depuis 1992. À l'origine, ce fut Monsieur Auxiette, maire de La Roche-sur-Yon, qui nous suggéra ces rencontres nationales. Tous ont gravité autour des questions de laïcité. Ainsi, pour vous donner un exemple de ce travail, j'ai relevé les thèmes des huit derniers :

           L'édit de Nantes, prémisse de la laïcité.

           L'école confessionnelle : un choix individualiste et libéral.

           Loi républicaine et liberté religieuse face aux politiques concordataires.

           Laïcité et mixité sociale.

           La laïcité aux prises avec l'intégrisme.

           Laïcité et citoyenneté : une chance pour les religions. Petite incise, histoire de vous montrer que nous étions déjà en prise avec l'actualité ; à ce colloque intervenait Ghaleb Bencheikh. Il avait choisi pour titre de son propos : « La prétendue incompatibilité de l'islam et de la laïcité ».

           Liberté de conscience, socle de la laïcité.

           Citoyen d'abord, croyant peut-être, seule garantie : la laïcité.

     Habituellement (je signifie par là : jusqu'au colloque sur la liberté de conscience), nous nous contentions de publier des Actes. Mais le 14 novembre 2015 tout fut « différent ». Nous étions le lendemain des attentats du Bataclan... Le colloque, sauvé in extremis, se déroula dans un restaurant, la municipalité nous ayant fait évacuer la salle municipale retenue. L'un des intervenants, Gérard Delfau, ancien sénateur-maire, historien, fondateur du site Débats laïques (debatslaiques.fr) sut nous persuader que la transcription de ce colloque, ajoutée à un nombre – non négligeable bien sûr- de nos prises de position, démarches, textes issus de nos interventions... pouvaient constituer la matière d'un livre qui s'inscrirait comme étant le troisième d'une collection, « Débats laïques », qui lui avait été confiée par les éditions de L'Harmattan. Telle fut l'œuvre de l'année 2016... que nous appelons déjà au bureau du CEDEC : « l'année du livre ». Ainsi naquit « Citoyens d'abord, croyants peut-être, laïques toujours. » Vous pourrez, si le cœur vous en dit, y retrouver certains de mes propos. Pour conclure l'ouvrage, Jacques Haab, membre de notre bureau, rédigea un « Petit cours de laïcité à des catholiques de bonne volonté » qui commence ainsi : « Pour mieux comprendre la laïcité, on peut commencer par la notion inverse : le cléricalisme ». Sa conclusion pourrait presque être celle de mon intervention d'aujourd'hui : « L'esprit de laïcité est une qualité première du citoyen, bâtisseur infatigable de la société... les lois de laïcité (avec la séparation) ne sont que des moyens, mais des moyens indispensables à la démocratie... » . Toutefois, j'ai trouvé une autre conclusion, une conclusion qui illustre l'ambition du titre de ce livre.

     Nos actions peuvent être plus modestes que l'organisation d'un colloque ! Ils peuvent concerner une approbation, ce que nous fîmes pour la charte de la laïcité bien sûr, mais aussi une contestation (ce qui est le cas le plus fréquent...). Avant de présenter des exemples récents, il me semble indispensable d’évoquer la lettre ouverte que nous adressâmes au Secrétaire général de l'enseignement catholique le 4 janvier 2013. L'objectif était de pointer du doigt la compromission de l'enseignement catholique dans la mise en place des manifestations du 19 janvier 2014 qui ont précédé le vote de la loi dite du mariage pour tous. Nous savions qu'une lettre avait été adressée par ses soins aux chefs d'établissements privés catholiques. Nous souhaitions dénoncer la compromission de cette école qui a quand même partie liée avec l'Eglise catholique. Voici un extrait de la lettre :

      « (Vous appelez) chaque membre des communautés éducatives des 8500 écoles catholiques à prendre part en conscience et avec clairvoyance, au débat qui doit enfin s'ouvrir... L'enseignement catholique est en désaccord avec une évolution législative ouvrant le mariage et la parentalité aux couples homosexuels ».Tous ces termes prouvent que vous voulez engager le personnel de ces établissements dans une démarche clairement politique, puisque, en conformité avec les positions maintes fois exprimées par l'épiscopat, vous dites votre désaccord avec la loi en préparation et, muni de votre autorité sur lui, vous le poussez à épouser votre conception des choses et à tenter d'influencer le législateur... Pour justifier votre position vous affirmez, à propos de l'enseignement catholique : Fort de son expérience et de son expertise éducatives. Ce sont là des termes d'autosatisfaction surprenants. Reconnaissez que d'autres experts en matière d'éducation ont des avis tout à fait différents des vôtres à propos de la construction de la personnalité de l'enfant et de la prise en compte des réalités. Cette revendication de laboratoire que serait l'enseignement auquel vous êtes attaché est insupportable. »

     Cette propension à revendiquer un label de pédagogie expérimentale alimente les discours destinés à attirer des parents en quête du lieu scolaire idoine pour leurs enfants. Nous entrons dans ce champ si labouré qu'est ce qu'il faut bien appeler la concurrence scolaire. Ayant enseigné 10 ans en Vendée je ne sais que trop ce que cela signifie. En décembre 2012, pour préparer une intervention à Concarneau, j'avais travaillé sur une carte du département de Vendée où public et privé se partagent à égalité la clientèle scolaire. Sur 282 communes  répertoriées à l'époque, et en n'examinant que le cas des écoles primaires, je comptabilisais 61 communes n'ayant pas d'école publique mais une école privée (c'est le cas aujourd'hui pour environ 500 communes au plan national). Or, ces communes n'étaient pas du tout éparpillées sur l'ensemble du département de manière égale. Se détachaient 4 tâches d'un rayon d'environ 10 km. Dans ces régions, si vous n'avez guère envie de lever votre enfant une heure plus tôt pour lui faire emprunter un transport scolaire alors qu'une école privée est près de chez vous, la tentation est grande de renoncer à l'école publique. J'en étais arrivée à la conclusion suivante : si on excluait les communes urbaines, une famille habitant en zone rurale sur 4 se retrouvait obligée d'en passer par « le caractère propre » des écoles catholiques de ce département, quelles que soient ses options philosophiques ou religieuses. Il m'arrive d'entendre parler dans des « lieux d'église » (expression aujourd'hui courante) de liberté de conscience. Mais son application au choix de l'école se révèle sans doute « complexe », répondant à d'autres critères, etc... Comment accepter cette rhétorique ?

     Et pendant ce temps-là, des militants laïques se démènent pour faire ouvrir un établissement. Toujours en Vendée, à Aizenay, commune située à 15 Km de la Roche-sur-Yon, il a fallu se battre  20 ans pour obtenir l'ouverture d'un collège public. Aujourd'hui, les militants de Beaupréau, dans le Maine et Loire, ne ménagent pas leurs efforts, tant au plan local que national, pour obtenir la création d'un collège. Voici le commentaire d'Alain Paquereau, membre du CA et du bureau de la FOL (Fédération des œuvres Laïques) 49 : « Le Conseil Départemental refuse et refuse encore. Les parents ont le choix... de trois collèges catholiques. Cependant ils sont demandeurs et cela depuis fort longtemps de la continuité du service public d'éducation, d'une école laïque qui devrait tout de même rester la priorité de l'état républicain. Il existe pour ce canton une école élémentaire et... un tout nouveau lycée public, déjà trop petit. Le choix du département est idéologique... Et ce choix est aussi celui de subventionner les associations d'éducation populaire surtout catholiques. Il est clair, factuel que la part du lion... n'est pas pour les organisations laïques ». à la suite d'une conversation téléphonique, il m'a précisé que la Fédération des Œuvres Laïques avait obtenu une subvention de 3500 € alors que l'AFOCAL (l'Association pour la Formation des Cadres de l'Animation et des Loisirs), proche de la « sphère » catholique obtient 25000 €.

     Si certains départements, comme le Maine-et-Loire, se montrent bons princes à l'égard de l'école privée confessionnelle, l'état n'est pas en reste. Il subventionne même sa propre concurrence et renonce à encaisser des sommes ahurissantes d'impôts par le biais de deux Fondations d'esprit, de référence, voire de fonctionnement clérical qui se sont octroyé abusivement le label « utilité publique » (mais une association ou une fondation d'utilité publique peut être tout à fait respectable... quand l'expression « utilité publique » est respectée!). Pour mettre à jour mes références j'ai effectué quelques recherches Google et relu des textes d'Eddy Khaldi, en particulier le chapitre « Des fondations cléricales qui transgressent la loi » dans son livre « La République contre son école » rédigé en collaboration avec Muriel Fitoussi et publié aux éditions Demopolis. J'accorde une confiance totale aux chiffres qu'il avance, et ses références « historiques » concernant l'élaboration de tel ou tel texte sont indubitables.

    La plus ancienne de ces fondations est celle créée par Anne Coffinier (proche des milieux intégristes catholiques et de la mouvance tridentine Saint Pie X). Elle fut soutenue par Xavier Darcos. Sont cités dans le livre auquel je faisais référence les propos d'Anne Coffinier pour préciser son objectif : « Nous participons actuellement au lancement d'une fondation, la Fondation pour l'école, dont le but est d'apporter un soutien financier aux écoles indépendantes et de mettre en place un institut de formation des professeurs ». Le 18 mars 2008, le décret reconnaissant son « utilité publique » est signé.

    Des dons affluent et assurent la vitalité de ce réseau ; vitalité qui leur a permis de saluer, par exemple, l'ouverture de 93 nouveaux établissements à la rentrée 2016. Avant de remplir votre déclaration d'impôts, sachez que 66% des dons sont déductibles (dans la limite de 20% des revenus imposables), voire 75 % si vous êtes assujettis à l'ISF (impôt sur la fortune). Dans cette Fondation, ne sont étiquetés comme catholiques que 14 % des établissements, mais tout citoyen est en droit d'être choqué.

    La même stratégie est utilisée par la Fondation Saint Matthieu. Cette dernière assure « au mieux » les investissements de l'enseignement privé catholique depuis février 2010 à la suite d'un décret signé par Luc Chatel. Son lien très officiel avec l'épiscopat rend pour nous la compromission de l'église plus évidente et plus difficile à supporter. La Fondation facilite (directement ou indirectement par des prêts) l'acquisition de locaux, des agrandissements, des mises aux normes etc... Elle contourne l'interdiction de financement public au-delà de ce qui est permis par la loi Falloux et son développement me paraît fulgurant. En regardant la carte de France figurant sur leur site, je me suis aperçue qu'aucune région n'y échappait. Il faut dire que la publicité auprès des parents (celle qui est exercée auprès des entreprises doit être plus discrète, et je n'ai pas su la trouver) afin de les  inciter à faire des dons est soignée. Voici, par exemple, ce qu'écrit le directeur diocésain de l'enseignement catholique du Val d'Oise après avoir signalé les avantages fiscaux de l'opération : « Dans le cas, par exemple, d'un don de 10 € par mois sur une année, soit 120 € au total, le montant déductible de vos impôts s'élèverait à 79,20 €. Votre don ne vous coûterait donc que 40,80€ soit 3,40 € par mois. » Voilà un homme qui sait se mettre à la portée des parents n'ayant pas de calculette... tout en oubliant de calculer l'augmentation de la dette publique puisque les déductions sont autant d'argent en moins pour l'état.

    Mais ces acquis sont soudain estimés insuffisants. Ainsi que le signale un article du Monde du premier mars, « l'enseignement catholique veut peser sur la présidentielle ». Belle occasion pour demander plus de moyens et plus de postes pour ses 7500 établissements. Officiellement, il s'agit de faire émerger « des méthodes pédagogiques différenciées et collaboratives », revendication du label qualité dont nous avons déjà parlé. Est surtout demandée une révision de l'usage du 80/20, mode de répartition des moyens et des postes entre public et privé en vigueur depuis 1992 (Accords Lang-Cloupet), sachant que ne sont concernés que les établissements privés ayant signé un contrat d'association. «  Au cœur de ce projet, c'est une identité particulière que l'école catholique défend aujourd'hui », analyse l'historien de l'éducation Claude Lelièvre « une place au cœur du service public, distincte de l'offre lucrative et marchande qui peut se développer dans le hors contrat ». Allant encore plus loin, la secrétaire générale adjointe du parti les Républicains, estime « qu'il faut en parallèle, élargir l'offre éducative en rendant possible un financement du privé hors contrat du type Espérance banlieues ! (propos relevés dans la Croix du 6 février 2017.)

      La notion même d'école publique risque aujourd'hui de se dissoudre. Le vieux rêve du « chèque éducation » cher aux responsables qui se situent à droite de l'échiquier politique, voire au centre, même s'ils se veulent au-dessus des classifications, réapparaît sans vergogne, toujours masqué par la formule « liberté de choix des familles » qui fait mouche. Dans l'article d'Eddy Khaldi publié par Respublica voici trois semaines, je note ce rappel du rapport Attali de 2008 dont le rédacteur était Emmanuel Macron : « Des droits à l'école seront attribués à chaque enfant et utilisables dans toutes les écoles : ce dispositif permettra d'établir une véritable liberté de choix, pour que chacun puisse bénéficier dans son voisinage d'écoles publiques et privées conventionnées. En pratique, l'état affectera aux parents une somme d'argent par élève. Chaque parent pourra l'utiliser dans un établissement public ou privé de son choix. » J'ai bien peur que dans ce cas l'école publique devienne une école privée parmi d'autres. Au service de quel public ? La conception de service public s'envolerait pour l'école.

    On peut se demander si demain la notion même « d'Education Nationale » aura encore un sens si on continue à délaisser ce qui permettait d'assurer les soubassements de l'esprit républicain : l'école publique !

     Ce sens de la nation peut se trouver déformé, voire rétréci quand on accepte que le droit français ne soit pas intégralement appliqué sur l'ensemble du territoire, ce qui est malheureusement le cas pour les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de Moselle où demeure en usage le « Droit local ». Cet héritage de 1918 regroupe des mesures propres à la protection sociale, la chasse, le droit du travail... mais aussi le régime des cultes. Mélangeant un peu tout, bien des Alsaciens et Mosellans parlent seulement du Concordat et ont peur de voir s'envoler certaines mesures avantageuses pour leur porte-monnaie si on touche à ce fameux Concordat. Or, le 27 janvier 2017, une loi « relative à l'égalité et à la citoyenneté » (expression figurant dans le titre de cette loi) vient enfin de supprimer le délit de blasphème. Tout le monde applaudit, bien sûr, mais il me semble bien que ce sinistre délit de blasphème faisait partie du lot !

    Depuis des années, le CEDEC se bat aux côtés des diverses associations laïques pour demander la suppression du Concordat proprement dit. L'ensemble des citoyens français n'ont pas à financer des ministres du culte. Pour mieux connaître ce régime dérogatoire d'Alsace-Moselle je vous recommande le livre de Michel Seelig « Vous avez dit Concordat ? » paru fin 2015 dans la collection Débats laïques.

    À la demande de l'association « Laïcité d'Accord », je suis allée à Strasbourg en 2014 pour évoquer la question du statut scolaire, héritier de la loi Falloux du 15 mars 1850, la question étant de savoir comment y mettre fin et pour quelles raisons. En vertu de cette loi des cours, de religion sont donnés dans les établissements scolaires et font partie aujourd'hui des 24 heures de cours hebdomadaires à l'école primaire (ce qui pénalise les enfants d'une heure de cours chaque semaine). Au collège et au lycée, l'intégration du cours de religion reste la « norme ». C'est au nom de cette norme qu'il faut demander une dérogation pour ne pas y assister. C'est là que les « soucis commencent pour les parents, mais aussi pour les enfants...

    J'aurais pu évoquer les problèmes liés à l'organisation (qui assurera les cours de morale pour les enfants qui ne sont pas au cours de religion quand l'enseignant a accepté de les assurer par exemple?), les problèmes financiers (le coût total de « l'exception » d'Alsace-Moselle pour les questions religieuses serait de 70 millions d'euros par an, payés par les impôts de tous les Français), etc., mais je me suis limitée à la mise en cause de la liberté de conscience. Et n'oublions surtout pas que nous sommes ici dans le cadre d'écoles publiques de France.

    Une famille dont les convictions spirituelles n'ont aucun lien soit avec une conviction religieuse des « cultes reconnus » soit avec toute démarche religieuse, car elle se revendique indifférente à ce type d'interrogation ou proche de l'athéisme, de l'agnosticisme, etc., va donc devoir se soumettre à l'obligation d'une « supplique » pour ne pas faire participer leur enfant à ce qu'elle considère comme une mascarade. Comment peut-on obliger des citoyens à se signaler aux yeux des autres comme non membre d'un groupe religieux qui, lui, aurait droit de cité. Sans compter que l'inscription est archivée dans le corps du « dragon » informatique.

    Entrons dans le concret des propos échangés au sein d'une famille X d'Alsace-Moselle pour laquelle l'inscription au cours d'enseignement religieux suscite quelques réticences chez l'enfant, mais dont les parents ne souhaitent pas se démarquer du voisinage, cas qui n'a rien de rarissime. On risque fort d'entendre ceci : « Mieux vaut faire comme tout le monde, ne te fais pas remarquer ; après tout, si cela ne te fait pas de bien, cela ne te fera pas de mal » ? Cela se situe à l'inverse de l'éducation à la liberté de conscience qui s'enracine dans la liberté du choix. Je songe en particulier aux enfants des milieux ruraux ou de communautés localement restreintes comme la communauté israélite. Quelle est pour l'enfant réticent (je ne parle pas de ceux qui y vont de bon cœur) la portée de cours subis ? Cela risque de conduire vers une « incroyance » enracinée dans une critique acerbe des propos entendus malgré soi. C'est un argument auquel seuls seront sensibles des croyants, j'en ai conscience, mais si on veut dialoguer avec la population accrochée au maintien de ce statut, il se révélera important. On peut aussi faire remarquer que le taux de participation à ces cours au niveau des classes terminales est aussi mauvais que celui des aumôneries de l'enseignement public.

    Cette partie très contestataire du « Concordat » peut paraître longue, mais c'est à nous de susciter le courage des « politiques » que nous choisissons pour sortir de cette situation peu compatible avec les valeurs républicaines.

     De politique je  ne saurais faire abstraction, car si nous sommes citoyens d'abord on ne peut taire aujourd'hui les détournements de ce bien commun qu'est la laïcité par le Front National. J'utiliserai pour cela deux documents, deux textes proposés en conclusion de ce modeste travail :

 Quelques extraits de ce qu'écrit Henri Pena-Ruiz dans la troisième édition revue et augmentée de son Dictionnaire amoureux de la Laïcité (chez Plon). Or, l'une des nouvelles entrées s'intitule justement : « Front national

Un texte rédigé par Hélène Mouchard-Zay pour son compte facebook quand elle s'aperçut que Marine Le Pen détournait complètement la pensée de son père Jean Zay.   

Voici donc ce qu'écrit Henri Pena-Ruiz :

   « On ne peut appeler laïcité une idéologie qui privilégie le catholicisme et discrimine l'islam au nom d'une tradition nationale. En adoptant une telle attitude, le Front national renoue avec l'ethnocentrisme colonialiste qui exalte l'Occident chrétien contre l'Orient musulman. »

    «  La référence à la laïcité, en l'occurrence, est une usurpation … La laïcité est en effet un dispositif universaliste qui s'interdit de privilégier tout particularisme » (p.466 – 467).

     « Il n'y a pas à proprement parler une identité de la France, entendue comme ensemble de traits caractéristiques d'un mode de vie. Mais sur le plan juridique et politique concernant l'organisation des rapports entre les êtres humains, il y en a une, celle de la République démocratique, laïque, sociale, indivisible, stipulée par le premier article de la Constitution. » (p. 466)

     « Ce qui est pervers et idéologiquement redoutable dans ce nouveau discours ethnocentriste, c'est le fait de paraître assumer les valeurs républicaines alors que traditionnellement c'est l'ordre social dominateur qui était encensé » (p.471)

          Ce ne sont là que quelques extraits des 9 pages que compte cette entrée. Ce sont  des propos très forts. Puissent-ils être efficaces.

   Pour conclure, je tiens à vous transmettre ce texte d'Hélène Mouchard-Zay. Hommage à Jean Zay, certes, mais c'est aussi un hommage à la laïcité telle qu'il la concevait et à l'école publique pour laquelle il a tant œuvré.

   «  Elle a osé...

       Après avoir rapté avec cynisme le concept de laïcité pour en faire une machine de guerre contre les musulmans, voilà que Marine Le Pen, dans son programme, ose invoquer le nom de Jean Zay, citant une phrase de la circulaire signée par lui en 1936, qui interdit tout signe politique dans les établissements scolaires.

Mais sait-elle pourquoi Jean Zay réaffirme avec force dans cette circulaire le devoir de laïcité dans les établissements scolaires ? Ceux en effet qui, dans les années 30, menacent la laïcité, ce sont essentiellement les ligues d'extrême droite qui, pour détruire la République, maintiennent l'agitation dans les établissements scolaires et cherchent à y introduire leur propagande, par toutes sortes de ruses : tracts, recruteurs, enrôlement, etc. ; C'est contre les  menées de ces ligues que Jean Zay veut protéger les enfants, et par la protection de la loi. L'année suivante, il rappelle que l'interdiction vaut aussi pour les propagandes confessionnelles. « Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements... »

Loin de prôner une « neutralité » qu'invoque M. Le Pen, Jean Zay appelle les enseignants à la mobilisation pour la défense de la République et les valeurs qui la fondent. S'il refuse tout militantisme politique, idéologique ou religieux dans l'école, c'est au nom des valeurs qui fondent la République et que combat au contraire M. Le Pen : il veut une école qui apprenne à juger par soi-même et non à applaudir des hommes – ou des femmes – providentiel(le)s. Il veut une République ouverte, fraternelle, solidaire, qui n'exclut personne en raison de ses origines ou de sa religion, et dont le fondement est une école qui accueille tous les enfants, quels qu'ils soient, et qui tente de les ouvrir au monde.

En 1940, c'est cette même extrême-droite qui accueille comme une « divine surprise » (Maurras) l'accession au pouvoir, grâce à la victoire de l'Allemagne, de Pétain et de ce régime qui va s'empresser de mettre à mort la République, avant d'engager les persécutions contre ceux qu'il désigne comme « l'anti-France ». Ses journaux, en particulier Gringoire et Je Suis Partout, ne cessent pendant toute l'occupation d'alimenter la haine contre les juifs et les résistants et Jean Zay, depuis toujours détesté par l'extrême- droite, continue à être l'une de leurs cibles principales. La milice s'engage activement dans cette chasse à mort contre les juifs et les résistants. Cette même milice qui assassinera Jean Zay en 1944...

Le FN est l'héritier historique de cette extrême-droite française, maurassienne et pétainiste. Il ne s'en ai jamais démarqué, et chacun peut constater l'inspiration maurassienne des idées qu'il développe »

   Hélène Mouchard-Zay fille de Jean Zay

   Nous ne pouvons que remercier Hélène Mouchard-Zay.

                                          Monique Cabotte-Carillon,  mars 2017

Monique Cabotte-Carillon Présidente de l’association nationale C.E.D.E.C (Chrétiens pour une Église Dégagée de l’école Confessionnelle) et auteur du livre CITOYENS D'ABORD, CROYANTS PEUT-ÊTRE, LAÏQUES TOUJOURS.

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