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Lassés par l'immobilisme, les citoyens de Saint-Maur-des-Fossés (94) – comme dans de nombreuses villes françaises – sont montés au créneau. Leur mobilisation confirme un constat désormais scientifiquement étayé : l'urbanisme obsolète et la pollution tuent. Face aux canicules annoncées et aux pollutions multiples, l'heure n'est plus à l'attentisme, mais à l’engagement pour une transformation urbaine systémique.

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A l’occasion de la fête de la science à Saint-Maur, la « Marche Citoyenne pour des Solutions contre les Pollutions » a rassemblé de nombreux habitants pour dire stop à la résignation et au déni. Des pancartes comme « Chouchoutez vos contribuables, faites des pistes cyclables » rappelaient que les enjeux écologiques sont aussi des enjeux de qualité de vie et de justice sociale. Le message est clair : la démocratie locale peut et doit être le moteur d'une transition environnementale.
Le double déni face à l'urgence
Le constat est implacable. La science le martèle, comme l'a rappelé le récent article de Stéphane Foucart dans Le Monde (« Cancer : la France doit savoir pourquoi elle est surexposée ») : la pollution – de l'air, de l'eau, de notre environnement immédiat – est un facteur majeur et silencieux de l'explosion des pathologies. Dans nos banlieues, nos rues et nos choix d'aménagement, le danger est omniprésent.
Pourtant, la réponse politique locale face à cette urgence est souvent celle du double déni : aucune action de transformation profonde n’est engagée et le dialogue avec les citoyens est rompu. Face à cette cécité volontaire et cet autoritarisme, notre collectif d’associations locales a proposé des solutions concrètes. Des propositions validées par des experts de l'INSERM, écologues et spécialistes de l'eau, et prêtes à être mises en œuvre immédiatement.
L’urgence d’agir par les solutions
Le long du parcours, la mobilisation a été rythmée par les interventions éclairantes de spécialistes, transformant la marche en un véritable laboratoire d'idées applicables à toute collectivité.
Repenser la mobilité avec le concept du « Super-Îlot »
Pour Giovanna Fancello, chercheuse à l’INSERM, la ville de demain nécessite une refonte participative. Elle a notamment mis en avant le modèle du « Super-Îlot » (ou Superilla), popularisé à Barcelone. Ce concept permet de regrouper plusieurs blocs de rues et d’en dévier le trafic de transit vers l’extérieur. L’espace récupéré est rendu aux enfants, aux piétons, aux cyclistes ; des espaces verts et de sociabilité y refleurissent, créant des zones moins bruyantes et plus sûres. Le « Super-Îlot » n'est pas qu'une mesure écologique, c'est un investissement en capital social et en santé publique. Saint-Maur, ville-presqu’île, se prêterait idéalement à ce type d’expérimentation citoyenne.
Nature en ville : une gestion arboricole vitale contre les canicules
Luc Abbadie, écologue et professeur émérite, a plaidé pour un développement accru de la végétation urbaine, essentielle pour lutter efficacement contre les îlots de chaleur et favoriser la biodiversité. Son message est sans appel : il est impératif d’adopter une gestion arboricole plus éclairée, qui privilégie la variété des essences pour renforcer la résilience du patrimoine face aux maladies et aux changements climatiques. Les feuilles sont le bouclier naturel de la ville : elles assurent l’évapotranspiration qui rafraîchit l’air et fournissent l’ombre indispensable. Les pratiques de taille « au cordeau », qui diminuent drastiquement ces boucliers naturels, sont une « stupidité » face aux canicules annoncées.
Gestion de l’eau : vers un modèle public pour protéger la ressource et la santé
Jean-Claude Oliva, directeur de la coordination Eau Île-de-France, a dénoncé l’investissement massif (un milliard d’euros prévu par le SEDIF et Véolia) dans des technologies high-tech et controversées comme l’Osmose Inverse Basse Pression (OIBP). Ce procédé, qui nécessite de prélever davantage d'eau pour produire la même quantité d'eau potable, est plus énergivore et rejette des concentrats de pollution en aval. Il préconise de réorienter cet argent vers la réduction de la pollution à la source, notamment en incitant financièrement les agriculteurs des zones de captage à passer au bio. Le point central est la nécessité d’un changement de modèle pour l’eau en Île-de-France, à l’instar de plusieurs communes franciliennes : passer à une gestion publique. Ce modèle permet une meilleure maîtrise des prix et surtout de réorienter les priorités vers la protection de la ressource en eau.
Déchets et dioxines : exiger des normes plus strictes
Enfin, Scheerazed Boulkroun, chercheuse à l’INSERM et membre du Collectif 3R a appelé à des mesures concrètes pour minimiser l’impact des fumées issues des incinérateurs sur la santé. Les leviers sont triples :
-Diminuer le volume des déchets incinérés, notamment en accélérant la collecte des biodéchets (obligation légale depuis janvier 2024), ce qui permettrait de ne plus brûler des matières humides à grand renfort de papiers et de bois.
-Exiger des normes de rejet des dioxines plus contraignantes, telles que celles appliquées avec succès aux Pays-Bas depuis plus de 15 ans.
-Exercer un contrôle citoyen plus fort sur les multinationales possédant les incinérateurs, souvent réticentes à partager les informations sur les dysfonctionnements et les pollutions induites.
La défense de l’environnement est celle de la santé publique
La défense de l’environnement est intrinsèquement liée à la défense de la santé publique. Ce constat alimente le désarroi face à l’inaction politique, qu’elle soit locale ou nationale (plusieurs manifestants ont rappelé l'abstention de leur député lors du vote de la controversée loi Duplomb sur les néonicotinoïdes).

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Les citoyens demandent à être davantage consultés pour l’aménagement urbain et mieux représentés pour la mise en place de solutions collectives. Ces solutions existent, sont validées par le consensus scientifique et appliquées avec succès ailleurs. Ce n’est plus une question de moyens, mais de volonté politique. Comme l'a symbolisé un jeune couple de mariés s'associant spontanément à la marche pour une photo, l'espoir d'un changement est palpable, et il est porté par une société civile de plus en plus informée. C'est à la puissance publique, désormais, de s'aligner sur cette intelligence citoyenne.
Signataires : Edgar Vercelloni, directeur département de recherche à EDFLab; membre de Saint-Maur en transition ; Camille Pelat, Biostatisticienne à Santé Publique France et membre Zéro Déchet ; Denis Laurent, vice président du collectif de Défense des Jardins et Espaces Naturels du Val-de-Marne, Giovanna Fancello, chercheuse à l’INSERM, Luc Abbadie, professeur émérite, ancien directeur de l’Institut de la Transition Environnementale de Sorbonne Université et Président de Nature et Société, Jean-Claude Oliva, directeur de la coordination Eau Île-de-France, Scheerazed Boulkroun, chercheuse à l’INSERM et membre du Collectif 3R