Billet de blog 1 janvier 2023

Pascal Tournaire

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73, l'année de l'éveil

Le bac et « l'autre 11 septembre ».

Pascal Tournaire

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

1973 l’année du bac.
1973  « l’autre 11 septembre » . 
1973 Lip Piaget l’autogestion: «  "on fabrique, on vend, on se paie ».
1973 Nixon et le Watergate
1973 la guerre du Kippour. 
1973 la crise est là.

Le début d’une conscience politique. Après l’assassinat d’Allende,  nous sommes des dizaines de milliers à manifester dans les rues à St E ou à Lyon. La force est dans le nombre, le bruit, les couleurs, les odeurs bien mieux que dans les slogans. C’est là que se font les rencontres d’une minute ou de toute une vie. Dans les rassemblements naissent les discussions, s’échangent les infos, les rendez vous à ne pas manquer, les futurs lieux d’action. 
Effervescence, plaisir et joie, aucune peur. Même à Creyss Malville après la mort de Vital Michalon, tué par la police en 77.  
Je vais avoir 18 ans. J’ai une écharpe en laine et les cheveux longs. Premiers héritiers de 68, filles et garçons, nous portons les mêmes pull marin, des jeans, des pataugas aux pieds, parfois des sabots en bois mais c’est douloureux. L’amour libre est notre seul credo car nous le pratiquons chaque week-end. 
Dans un brouillard de shit marocain, trois soirs de suite à la bourse du travail, nous avons hurlé ni dieu ni maitre avec Ferré.
Parfois le samedi nous nous retrouvons à  « Madiney » c’est le nom qu’on a donné à une vieille grange isolée dans un hameau du massif du Pilat après une bagarre. Y’a une ampoule et une prise. Le sésame c’est une bouteille de rouge. On s’y retrouve à trente: 25 mecs et 5 filles qui ont le choix , ne s’en privent pas avant de disparaitre avec leurs proies. Les autres gars picolent. 
Il arrive que le dimanche matin nous sautions dans le bus du club pour jouer au rugby contre une équipe de la banlieue lyonnaise. Le plus souvent on perd mais c’est vrai aussi quand la nuit a été tranquille. 
Nous lisons Charlie, celui de Choron et Cavanna depuis que Hara Kiri hebdo a été interdit à cause d’une une qui avait osé se moquer de l’icône nationale disparue; Libé aussi qui vient d’être créé par Sartre dont je n’ai pas encore réussi à lire l’oeuvre et puis la gueule ouverte de Fournier grâce à qui un nouveau mot va enrichir mon vocabulaire: l’écologie ». 
En avril 1973 je découvre Picasso qui vient de mourir.
L’an 01 est mon film favori avec le cinéma politique italien.
Chaque été nous allons prendre l’habitude de faire l’inventaire des luttes  sur le plateau du Larzac.
Tous les combats nous concernent. 
La Palestine  et le fata  d’Arafat, Mandéla et l’apartheid, la guerre du Viêt-Nam qui n’arrive pas à finir malgré « les accords de paix » à Paris toujours en 73…
Le capitalisme est l’ennemi à abattre. Cela fait quelques années qu’il prend de sérieux coups, il vacille. Il va surement tomber. Il est souvent question dans les discussions, d’un grand soir.

Un demi siècle plus tard, Arafat, Ferré, Mandéla et le cinéma italien ont disparu. 
A l’échelle individuelle , 1973 me ramène vers l’enthousiasme de la jeunesse, la folle liberté de croquer la vie pour toujours. 
A l’échelle collective, 1973, c’est une impression diffuse d’espoirs et  d’échecs qui s’accumulent, de mouvements qui s’épuisent  avec en ligne de mire la grande illusion de 1981. 

Et pourtant «  le grand soir » a eu lieu car  une révolution est bien née en 1973. 

Revenons- y : la dictature de Pinochet, dès le début, fut le laboratoire grandeur nature du libéralisme autoritaire né au cours de ces années post soixantehuitardes. 
Dans  son livre « la société ingouvernable » le philosophe Grégoire Chamayou, nous raconte toutes les étapes de ce contre mouvement dont nous ne sommes toujours pas sortis. 
Deux exemples édifiants s’il en est :
En 1973 David Packartt, pdg de Helwett Packartt, ancien conseiller d’état, rassemble les grands chefs d’entreprises américaines pour leur rappeler que ce sont eux qui financent les universités, foyers de la contestation. Vont ils continuer?
C’est en 1973 aussi que nait La Commission trilatérale organisation à l'initiative des principaux dirigeants du groupe Bilderberg et du Council on Foreign Relations, parmi lesquels David Rockefeller, Henry Kissinger et Zbigniew Brzezinski. Regroupant 300 à 400 personnalités parmi les plus influentes — hommes d’affaires, hommes politiques, décideurs, « intellectuels » — de l’Europe occidentale, de l’Amérique du Nord et de l'Asie du Pacifique (États dont la plupart sont également membres de l'OCDE), son but est de promouvoir et construire une coopération politique et économique entre ces trois zones clés du monde, pôles de la Triade.

Prononcée à la fin de la décennie 70, la phrase emblématique de Margareth Thatcher « there is no alternative », répétée jusqu’à l’écoeurement, reste en travers de nos gorges. Derrière son cynisme s’entend le triomphe de ce libéralisme autoritaire. 
Cinquante ans plus tard il est toujours aussi douloureux d’admettre cette défaite, stratégique, politique et idéologique. 
Cependant tout est possible, non ? Même un autre monde.

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