Le 24 juin 1973 débute la troisième édition du Christopher Street Liberation Days au Columbus Circle proche de Central Park. Les manifestants se regroupent et marchent vers Greenwich village pour assister aux discours et performances organisés tout au long de la journée. Cependant Jean O'Leary, militante lesbienne et fondatrice du LFL (Lesbian Feminist Libération) s’oppose à la performance des drag queen sur scène. Durant l’année, les membres du LFL avaient débuté un mouvement de dénonciation de la misogynie au sein du mouvement. Sur scène, Jean déclare « Nous soutenons le droit de chaque personne à s’habiller comme elle le souhaite. Mais nous sommes opposés à l’usurpation d’identité ou la moquerie des femmes par les hommes pour du divertissement ou du profit ». Silvia Rivera, militante transgenre et figure de la lutte homosexuelle, que Jean O Leary traite d’ « hommes dans des vêtements de femmes », monte alors sur scène avec la drag queen Lee Brewster pour dénoncer les propos de Jean dans un discours poignant et intemporel.
« I have been beaten. I have had my nose broken. I have been thrown in jail. I have lost my job. I have lost my apartment for gay liberation, and you all treat me this way? »
Silvia Rivera
Dans son discours, Silvia dénonce l’injustice fait par la communauté aux personnes transgenres. Elle rappelle que c’est à STAR que les homosexuels et lesbiennes emprisonnés écrivent pour de l’aide, pas aux associations d’homosexuels et de lesbiennes. Elle dénonce le manque d’intérêt de la communauté vis-à-vis de leurs frères et sœurs incarcérés. Elle dénonce le comportement de Jean O Leary qui serait aujourd’hui qualifié de Terf. Elles dénoncent le comportement des gays envers la police et relèguent tous les policiers en dehors de la communauté, quelle que soit leur sexualité de par leur statut de reproducteur de la violence de classe, et de la société à l’encontre de leur communauté.
« I have been to jail. I have been raped and beaten. Many times. By men, heterosexual men that do not belong in the homosexual shelter. »
Silvia Rivera
Enfin, Silvia rappelle les combats menés par les personnes trans : « You go to bars because of what drag queens did for you, and these bitches tell us to quit being ourselves ! » Les personnes trans et les drag queen ont été en première ligne à Stonewall et dans toutes les luttes pour défendre les droits homosexuels. Pour Silvia, ce discours fut l’acte de fin de la STAR. La communauté a insulté les personnes trans car considéré comme une gêne et une menace pour les gays et lesbiennes. Elle résume ce moment comme une bataille contre des personnes qu’elle considérait comme des camarades et amis. Des années plus tard, Jean O’Leary regretteras ses paroles et son militantisme excluant les Personnes Trans, les Travesties et les Drag Queen :
« It was horrible. How could I work to exclude transvestites and at the same time criticize the feminists who were doing their best back in those days to exclude lesbians ? »1
Jean O'Leary
Le regret de Jean O’Leary rejoint parfaitement le discours de Silvia Rivera : « Looking back, I find this so embarrassing because my views have changed so much since then. I would never pick on a transvestite now. » 2 Ce n’est pas en reproduisant des comportements de discriminations au sein de notre communauté que nous réussirons à obtenir nos droits et notre acceptation au sein de la société. La communauté doit être soudée dans sa différence et défendre toutes les facettes qui la composent pour former un bloc uni contre les discriminations et la domination. Pourtant, le combat contre le sexisme au sein de la communauté est primordial car il y a du sexisme, notamment de la part des hommes cis. C’est dans ce sens que la Communauté est profondément intersectionnelle : elle compte en son sein des femmes, des personnes juives, musulmanes, noir, handi… Puisque toutes les différences et dominations y sont représentées nous nous devons de faire tout notre possible pour ne pas reproduire les rapports de domination présents dans la société. Ce triptyque s’applique également aux rapports de classes, qui doivent être atténués sans pour autant être invisibilisés, pour mieux les combattre. Silvia Rivera cite directement les rapports et les privilèges d’être blanc et cis dans son discours « The people are trying to do something for all of us, and not men and women that belong to a white, middle-class white club. » Mais plutôt que de terminer sur une critique, Silvia conclue par un appel au regroupement, à la révolution et à l’évocation du Gay Power. Ce discours est à la fois une critique de la fragmentation de la lutte Queer et un appel au rassemblement. Silvia Rivera s’est battue toute sa vie avec un mot d’ordre : la liberté personnelle ne dépend pas de ses droits individuels mais de la libération de tous les peuples opprimés.
Vidéo du discours de Silvia Rivera : “Y’all Better Quiet Down” Original Authorized Video, 1973 Gay Pride Rally NYC
1« C’était horrible. Comment pouvais-je travailler à l’exclusion des travestis tout en critiquant les féministes qui, à l’époque, faisaient de leur mieux pour exclure les lesbiennes ? »
2 « Avec le recul, je trouve cela très embarrassant parce que mon point de vue a beaucoup changé depuis. Aujourd’hui, je ne m’en prendrais jamais à un travesti »