Hier, 14 septembre, j'ai passé du temps en cuisine. J'ai fait un banana bread et un flan coco car demain matin, il y a un événement en bas de chez moi, dans le 14eme arrondissement de Paris : Rodrigo Arenas, député de la France Insoumise, d'origine chilienne, va venir participer a la réalisation d'une fresque commémorant le cinquantenaire du 11 septembre 1973.
Ce jour là, avec l'appui des USA, la junte militaire chilienne renversait le président démocratiquement élu du Chili, Salvador Allende. Son grand défaut : il était de gauche. Avec cette fresque, Rodrigo me permet de repenser à mon ami Gustavo, à mes souvenirs de ce jour.
C'est l'après-midi. C'est un mercredi. Je suis non loin de Chartres, et des copines déboulent à la communauté. On papote en écoutant Jimi Hendrix. Soudain, un copain surgit un peu excité : « Il y a un copain qui cherche à te joindre au téléphone, ça a l'air urgent. » C'est Gustavo. C'est un ami du Chili. Il est journaliste à El Siglo (le siècle). C'est un journal de là-bas.
Gustavo. Secoué comme jamais. On est le mercredi 12 septembre. On est en 1973, et ce pays dont Gustavo portait le grand collier en cuivre autour du cou, ce pays passe soudain du statut de « c'est où ça le Chili ? » à « Ah ! Oui le Chili. » Et cet air triste. Gustavo, en quelques minutes, a tout perdu. Son boulot de journaliste, sa famille, sa maison, son pays tout ce qui faisait de lui un homme. Il lui reste sa vie. Le malheur vient de tomber.
Il va y avoir plein de manif, on va crier en vain "ITT, CIA, USA, SA, SS". Pour ne pas se taire. Pour ne pas tomber dans le silence. Car nous on est jeunes encore. On a 18 ans. On veut hurler cette rage.
Gustavo est abattu. Il sait qu'il faut faire face qu'il faut se relever. Vite, vite, reprendre le combat mais comment ? Il est déjà de l'âge de nos parents. Comment survivra-t-il dans ce monde ? Ce sera dur. Loin de son beau pays où il avait tout. Désormais, il n'a plus rien. Il y a eu ce coup d'Etat. Les amis qui vont peu à peu disparaitre, certains dans la clandestinité. Les autres... Il ne faut pas penser, il faut avancer. Chaque pas plus douloureux, plus difficile. Il est loin de son pays, exclu de ce combat. Que faire ?
Gustavo est devenu ce jour-là un réfugié. Chilien.
C'était il y a 50 ans. Gustavo, je ne t'ai pas oublié.
Merci Rodrigo. Grace à cette fresque, tu m'as permis d'évoquer Gustavo et tous les amis d'Amérique Latine qui trouveront refuge chez nous ou ailleurs.
Parler d'eux c'est permettre qu'ils soient de nouveaux vivants parmi nous.
En repassant devant la fresque, outre la fecha (la date), je lis "la memoria vive" et c'est bien cela.
Merci aux peintres muralistes chiliens, au député, Rodrigo Arenas venu avec notamment son père Pato, à Carine Petit, la Maire du 14, aux militants du 14ème, Marie Hélène et Jean Pierre, Dominique et les jeunes dont je ne me souviens plus des noms.