- Années de sécheresse au Sahel
J’avais huit ans et nous habitions au Niger où mon père était coopérant.
Nous vivions en dehors du monde, un vieil avion à hélices venait livrer la base-vie deux fois par mois, LE magasin proposait une seule sorte de marque par produit, des pommes jaunes, des oranges et des bananes.
Nous habitions des maisons basses climatisées entourées d’un jardin. Dans le quartier « des blancs » pas de rues mais des arbres et des ombrières avec quelques voitures dessous. Avec sa deux-chevaux sans portière, ma mère allait souvent faire des achats au « village » le quartier « des noirs », elle achetait des tissus pour nous faire des vêtements car nous avions la drôle d’idée de grandir tout le temps !
Dans la ville noire, les cases en banco1 couvertes de tôles métalliques recelaient des trésors venus d’Amérique et d’Asie déjà ; des poupées en plastiques, des bouteilles de Fanta, des « canes à sucre », des chewing-gums en plaque rose et les premiers fameux Malabar. Pour s’habiller, ma mère faisait façonner des robes savamment brodées à la machine à pédale par les couturiers africains, dont la boutique jouxtait un étal de criquets grillés.
Pour mon frère et moi, selon la saison, la vie était rythmée par les sorties en brousse, les nuits à la belle étoile sous un ciel immense et intense sous lequel nous jouions à trouver un minuscule point mobile ; «Là, satellite » !
Nous rencontrions encore des petites gazelles fines bondissantes, des autruches s’enfuyant de mauvaise humeur, des pintades mitrées dodues et affairées, des traces de gerboises et de fennecs à travers les oueds du Talak2.
La chaleur était accablante, nous les enfants, nous échappions explorer les dunes autour de la ville, partis à la conquête de quelque mystérieux royaume imaginaire.
Et puis, en plusieurs mois, sont apparus des animaux errants, des chèvres osseuses broutant le papier des cartons d’emballage, des ânes immobiles statufiés résignés, des zébus efflanqués épuisés de chasser les mouches envahissantes.
Et puis, le sable des dunes s’est constellé de bêtes mortes, de carcasses vides au pelage séché comme de l’écorce. Le vent balayait les cranes blanchis, masquant ou révélant tour à tour les mandibules détachées aux dents usées et jaunies.
La mort était partout, le souffle permanent de la chaleur m’empêchait de respirer, le sable était brûlant malgré mes samaras3, je courais souvent d’une nappe d’ombre à une autre, le long des rochers.
Une fine pluie de plusieurs minutes est tombée créant une fine croûte sur le sol, et l’odeur a explosé dans l’air à nouveau ardent. Les défécations des habitants dans les dunes et les restes des carcasses lyophilisées ont infusé et révélé à tous sans exception la réalité de ce mot que j’entendais pour la première fois ; la sécheresse. Elle venait d’envahir la base-vie et le village sur les confins du Sahel, d’entrer dans ma conscience et de fonder mes questions naissantes.
Pourtant ailleurs, dans l’Oued de Mamanet, où nous allions admirer de magnifiques girafes4 rupestres, les petites gouttes de pluie avaient réveillées la dormance des graines et le paysage se couvrait de fleurs toutes colorées et pressées de se transformer à nouveau en de futures graines.
L’arrivée en France à l’aéroport
Cette année-là, j’avais huit ans.
Par le vol Niamey – Paris via Marseille, notre avion a atterri à l’aéroport du Bourget. Lorsque je suis sortie de la carlingue, que je suis descendue sur le tarmac par l’escalier mobile, je me suis sentie assaillie par la chaleur. L’air tremblait au-dessus des pistes comme les mirages sur l’horizon africain.
Mes parents avaient acheté une voiture et nous allions rejoindre le chalet familial. J’avais attendu avec impatience le retour annuel aux tonalités si fraîches des verts paysages de montagne. Il faisait si chaud qu’en ville, les personnes adultes se baignaient dans les fontaines.
A l’arrière de la voiture avec sa plaque rouge immatriculée TT385 , je regardais avec stupeur défiler les champs jaunis et les prairies pelées.
Je me souviens encore des émissions à la « TV » comme on l’appelait autour de moi, il fallait faire la chasse aux gaspillages, économiser l’essence, ne pas faire couler l’eau, éteindre la lumière des vitrines, certains prétendaient même avoir « des idées » !
J’ignorais encore que cela n’était que le commencement, qu’il y avait eu un premier choc pétrolier, que cela préfigurait l’année 1976 … et combien cela compterait dans ma vie.
1973 est l’année de mon éveil écologique et politique.
1993 est l’année de mon diplôme d’architecture autour d’un projet de Musée d’Art Contemporain Africain à Bordeaux et d’une réflexion sur le post-modernisme.
2023 est l’année de ma bifurcation professionnelle à l’issue de 30 ans d’exercice professionnel et d’un profond engagement dans l’architecture bioclimatique, développant une architecture résiliente, centrée sur l'humain et le climat, confortable, passive, à énergie positive utilisant des matériaux biosourcés, aussi bien en neuf qu'en réhabilitation.
Petit lexique :
1. Banco – Mélange de terre crue et de paille tassé dans des moules en bois pour la fabrication de briques de taille identique dont on organise ensuite le séchage par faces au soleil. Ces briques sont utilisées en murs et plafonds dans la fabrication des maisons et des édifices religieux. Ce matériau apporte un meilleur confort en période climatique chaude, comme l’architecture en adobe de terre crue du Sud-Ouest de la France.
2. Talak – Ici, région de plaines et de dunes de sable situées près de la chaîne montagneuse de l’Aïr
3. Samaras – Ici, sandales à deux brides fabriquées à la main entièrement en cuir et décorées de motifs touaregs
4. Girafes rupestres – Gravures de grande échelle ornant les rochers du lieu-dit Mamanet, datées de plusieurs millénaires avant notre ère, témoins d’une époque où ces animaux passaient dans un luxuriant Sahara
5. TT38 – Transit Temporaire pour les expatriés, exemptés de TVA pour la durée des vacances