Pays émergents et pays industrialisés : insoutenable rivalité ou avenir commun forcé
Hélas, doléance vient de douleur...Celle de ne pas être questionnés, écoutés, entendus et de pouvoir agir.
Alors que les plans de rigueur se suivent et se durcissent, avec au centre de l'histoire, le coût des travailleurs , cette spirale mondiale de déflation sociale ne peut que conduire au pire. Nous irons au paradis car l'enfer est ici...
Ce résumé reprend brièvement une publication parue en 2009/2010, qui proposait de placer la Responsabilité Sociale et Environnementale des Entreprises, au centre d'un nouveau modèle...
L'article en entier est disponible sur mon blog
Introduction
La globalisation[1] est invisible. Pourtant elle n’est désormais plus une théorie mais une réalité avec des effets concrets (Ohmae, 2006). Parmi ces effets, l’émergence et récemment l’influence grandissante des grands pays émergents se sont imposées aux pays industrialisés sur la scène internationale. Force est de constater ici que la notion de pays émergent est mouvante, qu’elle évolue et que les réalités nationales sur lesquelles elle s’appuie, remodèlent le paysage international. Il existe en effet de petits pays émergents comme la Malaisie, la Corée du Sud, la Colombie, ou dans la cour des très grands (Cabestan, 2008), de nouveaux entrants comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, ou la Russie[2] (BRIC), façonnés par des histoires, des situations géographiques, politiques et des cultures très hétéroclites influençant leur croissance, leur développement et leurs entreprises. Conceptualisé par l’économie (O’Neill, 2001), développé et nourri par les fonds d’investissements, le terme BRIC désignait les quatre principales économies émergentes en mesure de remodeler le paysage économique mondial. Ignorés comme des concurrents potentiels, ces pays affichent désormais la volonté de maitriser et de décider des choix qui engagent leur avenir.
Ils ont leurs propres ambitions, l’exigence de stratégies nationales indépendantes et désormais leurs sociétés transnationales. Sous-estimés aussi en tant que partenaires, les grands pays émergents et leurs entreprises s’organisent[3]et disposent d’avantages concurrentiels et compétitifs incontournables utilisés jusqu’ici par les pays industrialisés. Ils confirment ainsi l’influence [4] qu’ils sont en mesure d’exercer sur la croissance, l’inflation, le travail sur la scène économique et sociale. Cette influence accrue soulève des interrogations tant, sur les conditions du processus globalisé des échanges internationaux que sur ses effets. Elle remodèle l’ordre géopolitique et économique sur une relation qui n’est plus envisagée uniquement par un lien de subordination. Ils sont à la fois des partenaires et des concurrents et dans leur ombre, un changement prend forme et se renforce : la lutte pour et par l’ordre économique pour l’ordre politique entre pays industrialisés et les pays émergents. Ils renouvellent de façon explicite les questions liées aux modalités de la croissance et du développement, des inégalités, du rôle de l’Etat nation et de celui des grandes entreprises. Plus spécifiquement leur influence grandissante questionne sur ces futurs acteurs majeurs du capitalisme du XXIème siècle et donc sur le rôle des pays industrialisés. Par conséquent, dans notre cas, au rôle et à la place de la France et de ses entreprises face à ses géants démographiques. En effet, la taille et la santé du marché intérieur Français, cumulées à la dette publique inégalée et aux choix des politiques stratégiques des grandes entreprises françaises suscitent plusieurs interrogations.
Derrière les indicateurs économiques positifs des pays émergents, quelle est la réalité actuelle ? Quelles sont les lignes de fractures et les dangers qui sous tendent cette croissance ? Quelles sont les voies envisageables pour la France et ses entreprises dont les intérêts semblent de plus en plus diverger[5] ?
La montée en puissance des grands émergents perçue comme une menace, ne peut être analysée uniquement comme le résultat d’une compétition accrue ou déloyale. Elle est aussi liée à l’incapacité des pays industrialisés d’anticiper les changements et les attentes de l’environnement et à changer de paradigme. L’ascension observée renvoie en miroir et en continu, la baisse de l’influence et du pouvoir économique des pays industrialisés et de leurs champions nationaux, si aucune analyse critique n’est menée conduisant à des stratégies alternatives, notamment pour la France. Il parait parfaitement illusoire de s’accrocher à un classement mondial à partir du pivot central axé sur la compétition sociale intensive face à ces grands pays. Il est raisonnable d’accepter et d’accompagner ces changements[6] en cours, tout en créant les conditions d’une mobilisation des grandes entreprises et de la société.
En effet, la France a peu d’alliés économiques et politiques avec lesquels elle peut envisager une dynamique de reprise. Elle ne dispose pas des avantages industriels de l’Allemagne ou de la main-d’œuvre des pays satellites de l’ancienne URSS, ni d’un marché intérieur comme le marché américain, ni de partenaires proches régionaux, ni du secteur des services ou d’une place boursière comme Londres. Si lors de la crise de 2008, ce manque de spécialisation a été un avantage, la sortie crise oblige à revoir les choix passés, ce qui n’est toutefois pas propre à la France.
Perspectives nationales
L’essoufflement du modèle national et les limites atteintes par les modèles managériaux des entreprises favorisent pour la France de s’interroger sur les options possibles. Les limites de la tension sociale paraissent en effet atteintes ou proches, et il devient nécessaire au-delà des discours de trouver les stratégies et les outils internes et externes afin d’apaiser et de reconstruire le lien entre Etats, entreprises et société. L’Etat français et les dirigeants des grandes entreprises ne peuvent faire l’économie d’une remise à plat des choix stratégiques et d’un « positionnement » sur la scène internationale et des modèles proposés, face à ces acteurs émergents sous peine d’être définitivement hors-jeu[7]. La confrontation et la compétition sociale avec les pays émergents et européens n’est pas soutenable en l’état.
Par conséquent, les deux questions de base à se poser sont : quel type d’investisseurs souhaite attirer la France et quel type d’entreprises et de dirigeants souhaite-t-elle attirer et promouvoir.
Il faut chercher et favoriser les moteurs d’une dynamique économique et sociale permettant en premier lieu une croissance interne, moins coûteuse, tout en ayant en second lieu une stratégie de développement basée sur l’exportation de modèles source de croissance externe. Dans la conjoncture actuelle, l’option politique qui encouragerait les politiques sociales responsables et durables des entreprises et des institutions n’aurait rien à voir, ni avec la morale, ni avec l’utopie. Elle est au contraire directement en lien avec la performance économique et financière sécurisée attendue par certains investisseurs, et répond en partie aux besoins des parties prenantes des pays industrialisés et émergents. En dehors de la définition d’un projet national clair et soutenu par des politiques dissuasives dans les investissements de « junk bonds[8] », les politiques incitatives sont nécessaires. La voie de la gouvernance durable d’entreprise et de la performance sociale des entreprises françaises sont parmi celles à suivre, pour redynamiser la recherche et le développement, la mixité sociale dans l’éducation au niveau de l’Etat. Plusieurs raisons le justifient.
Repenser les modèles
Proposer un modèle national et d’entreprise différent, fondé sur des critères discriminants sociaux durables permet de ne pas surenchérir dans la voie d’une hyper concurrence dont nous observons chaque jour les effets sur la société française. Il s’agit d’encourager les politiques sociales et durables comme un investissement et non comme un coût, pour générer de la performance sociale, économique et financière en se distinguant nettement des concurrents chinois, indiens mais aussi américains, ou européens qui semblent mieux armés pour cette compétition sur certains points. En premier lieu, si la crainte de voir les flux financiers et celui des dirigeants compétents se tarir par une politique trop sociale, il est important de noter les éléments suivants. D’une part, les études démontrent que les fonds d’investissements responsables[9], c'est-à-dire les fonds qui investissent dans des entreprises socialement impliquées des modèles économiques soutenus par un modèle et une performance sociale, sont en hausse constante et rémunère bien et de manière moins risquée et, d’autre part, que les entreprises qui adoptent réellement ce modèle de politique managériale et économique sont performantes car elles réduisent l’absentéisme, les accidents du travail, les conflits internes[10]. De plus, la crise de 2008 a démontré de facto que le niveau de rémunération n’est pas corrélé de facto à la compétence managériale. Il s’agit donc de déplacer le coût de la compétition en amont sur les forces internes de l’entreprise grâce à un management et des managers socialement performants[11].
En second lieu, la réputation et la légitimité d’une entreprise selon les chercheurs et les études menées lui permettent de capter les meilleurs flux nécessaires à son développement et à sa performance globale (Porter et Kramer 2006). Or la réputation et la légitimité se construisent sur le respect des engagements de l’entreprise ou de l’Etat[12]. Cela favorise la captation des meilleures ressources et les plus adaptées à l’entreprise en termes de ressources, humaines, matières premières, fournisseurs, clients, employés et financiers où que se trouve l’entreprise[13]. Par conséquent, les entreprises françaises (grandes ou petites) attireraient en Inde, en Chine, au Brésil ou ailleurs, les ressources les plus adaptées à leur développement, ce qui dans un premier temps, favorise la productivité et dans un second temps permet une diffusion des méthodes aux parties prenantes. Tout comme l’état français pourrait attirer un certain type d’investisseurs. Il faut pour cela favoriser un temps des incitations de trois niveaux : fiscales et économiques et sociales ici et dans les pays émergents.
Au niveau des institutions politiques, nombres de voies sont envisageables : la mise en œuvre de politiques fiscales taxant les entreprises en fonction de leurs politiques sociales et industrielles, (excluant la philanthropie), la création de zones franches fondées sur l’entreprenariat social et l’entreprise verte, la création d’un statut spécifique pour les PME comme aux Etats-Unis. Des systèmes de fiscalité étudiés à partir des investissements des entreprises dans les écoles professionnelles, ou des politiques d’accompagnement entre seniors et juniors pourraient aussi être envisagés. Les partenariats de coopération entre la France et les pays émergents à partir d’entreprises françaises PME et grandes entreprises à politiques sociales et durables[14] devraient être aussi privilégiés[15]. Ces éléments constituent des voies non exhaustives d’outils de croissance et de développement externe pour capter les ressources et d’outil interne pour les mobiliser.
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Sans céder à un pessimisme fataliste ou à un optimisme irréaliste, un redéploiement du management par la responsabilité et la performance sociale et durable des entreprises et des institutions, comme source de croissance interne et de développement externe, vaut la peine d’être étudié en complément de la mise à plat des choix gouvernementaux. En évitant la spirale déflationniste et en repensant le moteur de croissance, les politiques sociales et durables de l’entreprise permettraient peut-être de redynamiser les entreprises françaises en interne, tout en apportant un savoir managérial spécifique. Elles permettent au contraire de proposer des modèles que les pays émergents pourraient plébisciter hors confrontation. Elles ouvrent des pistes sur les critères de la performance et la prise en compte d’indicateurs et de coûts globaux dans le PIB. Une nouvelle dynamique et un rôle pour la France et ses entreprises sur la scène mondiale seraient ainsi envisageables. Au regard du contexte économique et social, et des conséquences des choix passés, elle vaut en tout cas d’être explorée. Cette piste semble une solution exploitable permettant des opportunités multilatérales économiques, sociales et environnementales vers les pays émergents, le temps de sortir de l'impasse de mettre en place de nouvelles stratégies réactives et innovantes. Au-delà des quelques éléments développés, il reste de nombreux axes à explorer pour rendre compte d’une situation complexe dont la gouvernance demeure centrale, tant au niveau de l’Etat que dans celui de ses relais opérationnels dans les entreprises.
[1] Nous employons ici le terme globalisation en y incluant la mondialisation des échanges de biens et de services. Le terme globalisation étant plus spécifiquement dédié à la finance.
[2] Le BRIC est la dénomination qui sert de référence aux grands pays émergents.
[3] Le 16 juin dernier, le président russe Dimitri Medvedev recevait à Ekaterinbourg ses homologues chinois, indien et brésilien pour le premier sommet du BRIC – acronyme désignant le groupe de pays formé par le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Prospérité, enjeux et perspectives d’un concept géoéconomique.
[4] Brésil, Russie, Inde et Chine. Le montant total des avoirs des 50 premières firmes des pays émergents s’est accru plus rapidement que celui des 100 firmes des industrialisés. Depuis leur introduction par la CNUCED dans un classement propre aux pays émergents en 1993 leur indice de croissance a été de 280%. Source: UNCTAD handbooks of statistics, Conference on Trade and Development Geneva, 2005.
[5] Pour l’ensemble des données pays voir les sites de l’OMC, de l’ONU, du FMI, et de la CIA, World Fact Book
[6] En effet, nous constatons que les firmes Françaises sur les seuls territoires de l’Afrique Sub-saharienne ont perdu de nombreux marchés au profit de la Chine et de façon moindre des Indiens (BTP, équipement de la personne et biens de consommation, CIAN 2006). Se référer à L’influence de la Chine en Afrique : une alternative au post-colonialisme ?, AFRI, 2007. La compétition s’exerce plus encore sur les marchés asiatiques considérés comme stratégiques.
[7] Source Insee : la France détient le record des dirigeants les mieux d’Europe sous prétexte de les voir partir à l’étranger, le record des seniors et des jeunes au chômage entre autres éléments
[8] Fonds d’investissement dits « pourris », comme les sub-primes
[9] Se référer à Novethic site internet, filiale de la Caisse des dépôts et consignation.
[10] Se référer au cas Google.
[11] L’Oréal est classée en 2006 « entreprise la plus responsable » au monde, par Corpedia -Ethisphère Council dégage des profits en hausse chaque année et a pour objectif de truster la moitié de tout le marché africain d’ici à 2015 sur ce marché devenu prioritaire pour les Entreprises du BRIC mais aussi par Procter & Gamble, J& J. Les résultats sont-ils liés à la conjoncture ou à une meilleure intégration locale à travers les politiques sociales mises en place (Etats et population)[11]
[12] La Suisse par exemple attire les capitaux grâce à son secret bancaire et à sa politique de maintien de ce secret. Autre cas extrême, les dictatures ont été privilégiées par les investisseurs car elles assurent la sécurité des investissements
[13] Nous observons sur les études menées que Lafarge en Afrique contrairement au BTP Français en fort recul, bénéficie d’un taux de croissance de 18% en 2006. Deux raisons peuvent expliquer cette croissance. Lafarge fournit du ciment et bénéficie ainsi de la dynamique du marché et a, depuis 2001[13] mis en place en Afrique une démarche RSE intensive à travers notamment la lutte contre le Sida. Lafarge en Afrique rencontrait des taux de prévalence de 3% à 33% selon les pays. Présent au Nigeria, en Afrique du Sud, au Kenya, au Cameroun, en Zambie, au Malawi et en Tanzanie, le leader mondial des matériaux de construction y a réalisé l'an dernier un chiffre d'affaires de 1,5 milliard d'euros, en hausse de 18,4 % par rapport à 2005, soit une croissance de 8 % en volume sur les marchés domestiques source Site institutionnel Lafarge
[14] Voir l’exemple de The Bakery en Inde. Cette PME par un modèle économique performant basé sur la formation des intouchables dans le domaine de la boulangerie se développe à la fois soutenue par les gouvernements locaux, la motivation des employés, le soutien des investisseurs. Elle s’appuie sur un business modèle pertinent à partir d’un savoir-faire, d’un secteur hôtelier du luxe en croissance et une gouvernance adaptée aux besoins
[15] Il existe des exemples comme Danone en Inde, ou Wal-Mart. Mais ces exemples s’ils sont à garder, sont limités à des épiphénomènes et encore trop liés aux stratégies commerciales. La recherche d’une dynamique de masse doit être favorisée.