Billet de blog 28 janvier 2012

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Lettre Ouverte Que la Force soit avec nous (Introduction et partie I)

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En cette période pré-électorale, dans un contexte mondial et national éprouvants, je vous demande à l’avance, hommes et femmes experts de la république, des think tanks et des réseaux d’excellence, de me pardonner les fautes que vous ne manquerez pas de relever dans cette lettre si elle est publiée. Elle finira sans doute aux oubliettes, faute d’intérêt, d’écoute et de réseaux dans les médias. Elle ne répond pas en effet, aux contenus, aux formats et aux critères habituels de l’espace laissé aux citoyens lambda. Voici la première partie de cette lettre ouverte qui en compte cinq.

Permettez- moi chers (futurs) gouvernants et décideurs de vous raconter une histoire personnelle. Ceci pour mieux vous parler de nous au sens collectif, face au désastre démocratique et social grandissant. Je parle en mon nom, et même si je suis aujourd’hui une bobo fauchée, je me classe dans cette masse du ‘nous’ ignorée par habitude, méprisée par éducation et sacrifiée par lâcheté ou cynisme. Je viens juste de m’inscrire sur les listes électorales sans grande conviction. Pourtant, mon cheminement est politique que je le veuille ou non. On peut choisir une lecture narrative d’un parcours, ou une lecture politique et sociale centrée sur un individu, ses capacités, ses manques et le système dans lequel il évolue.

Une banale histoire française 

Longtemps j’ai subi comme des millions de Français le déterminisme social, sans connaître ni ce terme, ni son sens et sa signification. Pourtant il pesait sur les lignées comme la mienne, qui survivaient sans rien revendiquer. Fille d’un émigré, fruit d’un mariage mixte raté qui dura six mois, une famille sous-prolétaire explosée et quasi inconnue, les fins de mois impossibles, les expulsions des appartements et des collèges, une fin d’études approximatives entre 12 et 16 ans, le premier rendez-vous d’urgence chez un dentiste à 18 ans, mon avenir était scellé. Zola pouvait être fier de moi. Je ne déméritais pas. J’étais une enfant ‘sauvage’ dans la banlieue d’une grande ville. Peu éduquée, jamais soignée, et de moins en moins nourrie, je donnais pourtant le change comme je le pouvais. Les enfants cachent les défaillances de leurs parents. Ainsi, comme beaucoup, je vivrais ou survivrais dans les marges, me méfiant de la société et me détestant par la même occasion.

Je me suis donc punie, devenant mon propre bourreau, comme nombre d’entre nous. Je ne savais pas pourquoi, mais il devait forcément y avoir une raison à ce mauvais karma, où l’urgence était de se loger et de se nourrir, et le lendemain, une menace perceptible. Je n’ai pas eu sans soutien familial minimal, le courage de forcer à l’époque mon destin comme les meilleurs d’entre nous, ni de croire à l’égalité républicaine dont d’ailleurs je n’avais jamais entendue parler. Je ne savais pas comment fonctionnait une faculté. Je n’avais jamais entendu parler de grandes écoles et je confondais MBA et NBA. Je ne connaissais alors ni Bourdieu, ni Marx que je confondrai un temps avec un acteur à moustache.

Je me suis laissée porter d’une rencontre à une autre, d’un lieu à un autre, sans réelle conscience politique ou sociale, ni du rôle auquel individuellement je pouvais prétendre et de ce que je pouvais faire pour moi comme pour les autres. Je n’enviais personne. Je ne revendiquais rien. Je voulais rester loin, au soleil. Ma conscience politique était anesthésiée par un système basé sur l’ignorance, la peur du lendemain, les humiliations et l’angoisse trans-générationnelle qui vous conditionnent à chaque sonnerie à la porte.

Parfois, l’argent ou plutôt le manque d’argent me renvoyait l’image d’une grande différence entre moi et d’autres. Je n’avais pas compris que l’argent n’était finalement qu’un combustible et un filtre.

Le filtre d’un système inconnu dont j’étais de facto exclue faute de combustible, faute d’en connaître les codes, les usages et les réseaux. Je me contentais de survivre dans les marges sans même l’idée qu’un monde parallèle existait. Celui des ayants-droits naturels. J’y serai pourtant confrontée de ma propre initiative quelques années plus tard.

Après de longs détours et de nombreux égarements personnels et professionnels, j’ai essayé de me domestiquer pour échapper au grand n’importe quoi.

J’ai ainsi appris à m’habiller, à me soigner, à parler à tous types d’interlocuteurs, à poser les bases d’une culture générale très approximative, pour obtenir des postes et un emploi tant convoité. J’aurais ainsi pu me contenter d’une pseudo ‘réussite’ sociale. J’avais acquis le droit à une existence confortable qui était ce qu’elle était, me trompant moi-même pour mieux séduire les autres. A partir d’un statut social dont la surconsommation était le symptôme, j’étais comme beaucoup, une partie d’un tout qui vivait juste pour elle-même, étonnée et heureuse d’avoir conjuré le sort sans pourtant y croire vraiment. J’en ai usé et abusé. Je devais tout cela à ma force de travail et ma ‘résilience’ dirait Cyrulnik. J’ai voyagé dans nombre de pays que je n’aurais sans doute jamais connu et je me suis fais une vie plutôt enviable, sans compromis honteux, même si j’ai laissé parfois mes instincts les moins sympathiques s’exercer. Pardon. Néanmoins, un jour j’ai fui ce système. Tout cela n’était pas moi. Le pouvoir n’était pas mon but. Je m’étais trompée.

Je gardais la blessure d’un choix de vie par défaut faute de diplôme. J’avais le souvenir d’avoir vu et écouté à la télévision (ORTF…) quand j’avais huit ans, Georges Steiner. J’avais été fascinée par ce qu’il disait. A la fois parce que j’avais l’impression de tout comprendre, mais aussi parce que je voulais être comme lui, parler comme lui, former mon mode de pensée sur le sien.

Dès lors, j’envisageais une autre vie professionnelle et personnelle. Moi, petit scarabée, gavée de séries cultes, de films et de classiques vus et lus trop tôt ou trop tard, je me suis mise à croire que tout était possible après 40 ans d’une vie d’inconscience et d’irresponsabilité. Comme le disait Eleanor Roosevelt ‘Personne ne peut vous faire vous sentir inférieur sans votre consentement’. Je voulais enfin le meilleur pour moi, ce dont j’avais été privée, car ‘je le valais bien’.

Je pourrais avoir moi aussi, plusieurs vies et rebondir toujours et encore sans peur des échecs et qui ailleurs se nomme, l’essai –erreur. Je savais et je sais que ma différence ne me confèrerait ni talent particulier, ni excuse et qu’elle serait insuffisante en elle même pour justifier ma démarche et la qualité de mon travail. Cependant, j’avais trop honte de moi à certains égards pour être indulgente envers moi-même. Ainsi, les diplômes me donneraient l’assurance trans-générationnelle de ceux qui sont bien nés qui naturellement passent d’une réussite ou d’une ‘erreur’ à l’autre, sans angoisse du futur. Ils valideraient et légitimeraient ma vie en quelque sorte.

Je pourrais exister ailleurs qu’à la place originelle qui m’avait été assignée.

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