Le gout féroce de la République
Ne remplissant pas les critères minimum de l’excellence des établissements d’élites, ni des facultés, c’est dans un établissement de la ‘seconde chance’ que j’ai fini par trouver un écho à mes aspirations. Seule cette institution m’acceptait avec mes incapacités et mes carences. J’ai passé la validation des acquis professionnels puis un, deux, trois diplômes. C’est à ce moment là, que l’on m’a proposé de faire une conférence à des étudiants dans cette école de la seconde chance, et que j’ai enfin trouvé un sens à ce parcours. Admirative d’un discours ‘réformateur jovassien’, dont je comprendrai plus tard à mes dépens que seul le discours était réformateur, (il faut bien que des émigrés quittent leurs enfants pour s’occuper des leurs), je me suis dit « toi aussi, tu seras prof ma fille ». La promesse d’une autre vie se profilait enfin. Si je l’ai fait en partie, tout n’a pas été si simple que prévu et annoncé par les initiés.
Afin de tenter d’exister dans un milieu qui m’apparaissait comme le moteur de la respiration et du système républicain : l’éducation, j’ai du renoncer à toute vie sociale et affective. Sans don ni talent particulier, j’avoue aujourd’hui qu’il faut avoir soit, une grande foi en soi soit, une grande inconscience pour s’aventurer sur cette voie académique. Il faut du temps dédié à cela, de la méthode et un esprit tranquille, ce qui n’était pas mon cas. Complexe d’infériorité ou de supériorité, je ne sais plus ce qui m’a poussé à tenir.
Je manquais absolument de méthode peut-être d’intelligence, mais pas de volonté pour apprendre et m’améliorer. Entre 2004 et 2009, j’ai gardé le cap et travaillé pour vivre autrement, en prenant le tout venant, en enseignant et en écrivant ma thèse. Je n’ai pas oublié une phrase lors d’un séminaire doctoral prononcé par un éminent professeur : ‘Progresser dans le monde académique, c’est ramper verticalement’. Heureusement, je rencontrerais plus de tolérance et d’aide de temps à autres. J’enseignais et je cherchais à mon humble niveau.
Force était de constater que mes cours étaient appréciés. J’avais en général de bonnes évaluations puisque j’ai enseigné durant toutes ces années dans les mêmes institutions dont certaines assez prestigieuses. Je suivais des mémoires, je gérais des programmes et je devais refuser plus de cours que de n’en accepter faute de temps. Néanmoins, je ne m’arrimais nulle part. J’étais toujours en orbite. Toujours décalée. Solitaire.
Force était aussi de constater que je n’étais pas douée à double titre : la méthode et la méthode. Avec peu d’écrits et pressée par l’âge et le temps, le curseur académique du recrutement s’éloignait au fur et à mesure vers des exigences toujours plus difficiles à satisfaire conjuguées à mes incapacités personnelles. J’étais trop ceci, pas assez cela, trop âgée, trop atypique et je n’avais pas développé les qualités nécessaires pour évoluer positivement dans cet environnement. J’admirais Darwin mais je commençais à détester la théorie de l’évolution.
J'avais beau prendre CDD sur CDD durant toutes ces années, donner les cours dont personne ne voulait, avoir appris l’anglais académique, prendre des missions administratives et des mi-temps pour payer et mener à bien ce parcours, cela ne prenait pas vraiment. La moindre erreur, m’excluait du jeu. Une mauvaise évaluation, sortie. Une parole dissidente, sortie. Un manque d’allégeance, sortie. Un manque féroce de droit à l’erreur comme il est mieux toléré voire promotionnel pour les parcours nobles. Parfois, une trahison et heureusement une aide.
Avec ce parcours et ce qu’il me semblait traduire politiquement et humainement, j'essayais de rencontrer des politiques pour travailler en back office sur le programme de 2007, n’ayant plus aucun appétit de pouvoir. Mon parcours pouvait-il aider à comprendre et à changer les choses pour les suivants ? N’étais-je pas une survivante en quelque sorte ?
Perdue comme nombre d’entre nous, j’allais à gauche, à droite ne sachant plus qui étaient ceux à même d’agir. Je défendais l’idée d’un contrat national de ‘formation d’excellence’ tout au long de la vie pour tous et j’avais l’idée de développer la responsabilité sociale des entreprises avec un emprunt national pour les créations d’incubateurs de PME sociales.
On trouvait mon ‘parcours exceptionnel’ avec soit, un désintérêt à peine masqué soit, la condescendance liée aux parcours des autodidactes comme le mien.
Rien ne s’est concrétisé. Je n’insistais pas, je n’étais d’aucune obédience, je n’avais pas de réseaux et je partais dès que possible à l’étranger où je restais face à moi-même. Ce qui n’a rien de réjouissant certains jours.
A force d’entêtement et de beaucoup de travail mais aussi avec les heureuses exceptions d’une aide bienveillante, (merci Laurence S, Anne MR, Gilles P, Serge S, Yvon P, Jean K, Françoise, Liliane), je suis arrivée à être Docteur. J’ai passé le premier rite initiatique.
Avec une thèse très moyenne sur la forme ( très honorable et félicitation du jury), mais pertinente sur le fond à mon humble avis, j’ai soumis des papiers à des conférences, publier quelques articles et oups ! j’ai passé la qualification de Maitre de Conférences des Universités en 2010. Je ne voulais pas rentrer n’importe où pour enseigner n’importe quoi, dans une école où le lean management serait l’idéologie dominante. Je pensais pouvoir intégrer plutôt une faculté ou un lieu où mon expérience serait utile.
Ayant enseigné dans nombre d’écoles, tout pour moi tendait durant ces années, vers ‘mon école’, celle de la seconde chance. J’ai pensé pouvoir y rentrer comme enseignant. Mes conférences étaient très bien évaluées toutes ces années et je pensais que là, je pouvais être à défaut d’un exemple, un réel appui pour ces étudiants. N’avais-je pas l’expérience et désormais les diplômes ? Cela ne marche pas comme cela. D’autres avaient la préférence.
Je me suis donc mise en quête d’un lieu d’enseignement fixe. Or, je ratais des entretiens cruciaux par ma double faute : les faiblesses académiques d’un cursus autodidacte rentrant aux forceps dans un cadre inconnu et une personnalité pas tout à fait ordinaire, et pas du tout exceptionnelle. Bref un vilain petit canard.
Alors un jour, il faut accepter sa véritable dimension. Mon parcours, mes efforts et mon travail n’intéressaient que peu de gens car ma pensée et mon discours n’étaient pas forts et mon pedigree pas très sexy. Je n’avais aucun talent particulier.
Je demeurai un électron libre incapable de m’adapter au-delà d’une certaine limite. Le faux-départ, le pedigree et mes carences ne me donnaient pas le droit de passer par la rue de la Paix. Ma blessure narcissique originelle demeurait et j’étais impuissante à changer les choses pour moi et les suivants.
Jusqu’au jour où j’ai cru avoir relevé le défi