Demain [adverbe ou nom masculin]:
- Lieu de notre futur. Ex: Demain est à portée de nos mains.
- Réservoir infini de nos envies, désirs et besoins inassouvis et de leurs réalisations potentielles.
Ex: Demain, c'est sûr j'aurai un meilleur taf. Je vais finir ma formation, je trouverai un nouveau patron. - Répétition d'hier
Ex: “ça, c'est toute la journée, lendemain après lendemain” (IAM, “Demain, c'est loin”) - Construction patiente et constante de chacun de nos jours
Ex: “Demain vous doit la somme
de vos jours passés. Rien de
plus. [...] Et rien de moins. Parfois, on regrette que demain nous ait réglé aussi exactement notre
compte.” (Robin Hobb, Les Aventuriers de la mer,
Tome 6 : L'éveil des eaux
dormantes) - Horizon indépassable de nos imaginations et fantasmes
Ex: Demain, on rase gratis
"Notre avenir, c'est la minute d'après, le but, anticiper/ Prévenir avant de se faire clouer“ [1]
Quand IAM a sorti “Demain, c'est loin", j'étais bien trop jeune pour apprécier toute la portée du texte, mais juste au bon âge pour en être durablement imprégnée. Ce titre me donne d'abord à comprendre une realité et des vies à la fois éloignées des miennes (fille d'enseignants qui a grandi à l'abri du besoin) et si proches par la couleur de ma peau et la vécu d'une partie de ma fratrie.
Ce qui m'imprègnera le plus, par la suite, c'est cependant cette notion de distance relative au futur. Selon nos conditions de vies, chaque minute peut s'étendre jusqu'à remplir notre horizon ou se rétrécir, petit point parmi des milliers, dans la sûreté d'un avenir qui se compte en années.
Le temps devient alors le réservoir qui permet ou non de réaliser nos ambitions et nos désirs : le temps qu'il nous reste à vivre bien sûr, mais aussi, le temps à notre disposition chaque jour, une fois libéré des contraintes matérielles. Le rythme de nos vies, contraint physiquement et socialement, est remarqueblement différent selon que l'on vit dans un village ou une métropole, en France ou en Afrique subsaharienne. C'est ce que j'apprends en voyageant, en parlant avec mon père de son Cameroun natal et surtout en déménageant, de Paris en banlieu puis à la Côte d'Azur. Ce rythme nous change, nous façonne: perdue dans le “métro, boulot, dodo parisien”, je deviens stressée, pressée, aigrie; demain est un éternel recommencement d'aujourd'hui car je n'ai plus d’espace mental pour penser un changement, même aussi petit que de varier mes loisirs. Libérée du seul métro, déjà l'espace des possibles se rouvre sur des sorties, des fêtes. Puis, avec un travail moins prenant, l'horizon s'étend pour laisser la place à la préparation de spectacles de danse, ce qui demande de s'y consacrer avec régularité pendant des mois. Demain n'est plus une fantaisie lointaine ou une répétition du quotidien: il devient une construction de chaque jour, sans cesse renouvelée, améliorée.
Puis le temps et les événements aidant (élections et manifestations, inondations et incendies), je recommence à m'intéresser à la politique et je prends peu à peu conscience du péril écologique. Soudain, entre échecs répétés de la gauche et accélération de la chute de la biodiversité, demain se métamorphose à nouveau: il n'arrivera simplement pas, nous sommes impuissant à changer ce présent destructeur. Régulièrement, l'espoir renaît brièvement, et, loin des dystopies capitalistes, je me prends à rêver de travailler seulement 24h par semaine[2], de salaire à vie[3], de communion respectueuse avec la nature, d'un monde où nous chéririons plus la compassion et la sérénité que le pouvoir et l'argent. L'utopie s'en va comme elle est venue, au 49.3 suivant.
Lendemain toujours imaginé mais toujours hors de portée, je me désespère et me ravis tour à tour, le long de nos errances entre libéralisme débridé et fascisme nauséabond, quand nous rêvons d'une voie vers la paix et la sororité. Demain, je voudrais cesser d'écrire:
“Je pense pas à demain, parce que demain, c'est loin”[1].
Références :
[1] "Demain, c'est loin", IAM, L'école du micro d'argent, 1997
[2]“Le droit à la paresse”, Paul Lafargue, 1880: pour la semaine de 24h et la notion de la machine qui offre à l'ouvrière du temps de repos en plus
[3] Conférence gesticulée de Bernard Friot: pour la notion de salaire à vie
[4] Robin Hobb et son concept de temps cyclique dans les cycles de “L'assassin royal” (“Royal Assassin”) et “Les Aventuriers de la mer”, (“The Liveship Traders”)