Identité (n.f.) :
A. ECO. : Caractère de ce qui est identique à un modèle déjà connu. « Chacune des pièces d’un fusil pouvait être construite indépendamment et en grande quantité […]. Il y aurait tant de copies identiques de chaque pièce qu’elles seraient interchangeables » (Claude Fohlen, Canada et Etats-Unis depuis 1770). Chaque pièce de cette mécanique a donc été conçue en fonction de critères permettant d’affirmer qu’elle correspond à ce que l’on attend d’elle. L’identité s’avère à la fois un produit, le résultat d’un processus de décision visant à fabriquer ce produit, le moyen de valider la justesse de ce processus de décision, enfin le moyen d’évaluer la conformité de ce qui est produit par rapport au modèle initial.
B. PSYCHO. : Ce qui est propre à un seul individu. « Chacun a son identité propre, on ne s’est jamais copiés les uns les autres » (L’ABCDR du son, Classiques et instantanés du Rap français). L’identité devient alors synonyme d’originalité, à rebours de la première définition. Souvent, l’identité des individus est conçue comme un mélange mêlant les lignées de filiation (famille, pays) et les lignées d’élection (cercles d’amis, cercles professionnels). Dans le premier cas, l’identité est donnée par l’environnement et l’on ne saurait y échapper. Dans le second cas, elle est choisie et revendiquée.
C. DROIT : Matérialisation du lien juridique existant entre un État et une personne que forme la nationalité. L’État délivre une carte d’identité à ses ressortissants et reconnaît que ces derniers correspondent à des critères définis par les lois. La détention de cette carte donne accès à certains droits.
D. SOCIO. : L’identité est le récit que l’on accole à son existence pour expliquer certains comportements (Jean-Claude Kaufmann). Comme tout récit, l’identité est le résultat d’un choix lié aux circonstances et s’accompagne de valorisations et d’oublis. Ce récit peut néanmoins varier en fonction des circonstances et des modifications de l’environnement.
Le mot « identité » est pour moi l’un des plus dangereux qui soient. L’identité est conçue comme remplie d’immuable : l’affirmation de l’identité d’une personne, d’un groupe ou d’une région suppose leur invariance dans le temps. Elle est également remplie d’inévitable : on ne peut échapper à son sang, à sa région, à sa religion, à son orientation sexuelle, etc. Elle est enfin remplie de péremptoire : on ne peut contester l’affirmation identitaire d’une personne, d’un groupe ou d’une région sans être suspecté de vouloir remettre en cause des droits en apparence établis.
L’identité peut apparaître comme un moyen de contester la logique du choix individuel, voire du choix démocratique. « Comment pourrais-je accepter que tu dises cela, puisque cela remet en cause mon identité ? Comment pourrais-je accepter cette loi, alors qu’elle va à l’encontre de ce que je suis ? ». Il y a deux adjectifs dérivés du mot « identité ». Le plus ancien est « identique » et conserve un sens relativement neutre et technique. Le plus récent est « identitaire » et est connoté de manière péjorative, pour dénoncer une attitude que l’on trouve déplaisante.
Mais le caractère immuable et invariant de l’idée d’identité devient problématique dans un monde qui ne cesse de changer. On ne peut maintenir indéfiniment une identité alors que l’environnement, aussi bien physique qu’humain, évolue en permanence, sous peine de se trouver un jour en total décalage. Deux solutions existent dès lors. La première revient à abandonner le discours identitaire auquel on se rattache pour se rapprocher d’un autre, mais cela ne peut s’effectuer sans peine. La seconde consiste à modifier consciemment ce récit pour l’adapter aux réalités du temps. Le rôle des intellectuels est primordial pour opérer cette mutation des récits identitaires.
Les réflexions sur l’identité qui m’ont le plus marquées ces dernières années sont celles du sociologue Jean-Claude Kaufman. De formation historienne, je m’intéresse également à l’inscription dans le temps des discours sur l’identité. Les quelques notions de droit comparé que j’ai acquises m’ont rendu sensible à la lecture du livre de Ruth Benedict Le chrysanthème et le sabre, qui décrit les fondements anthropologiques du droit japonais en insistant sur deux types de comportements liés à l’identité : ceux liés à des liens indéfectibles et que l’on ne peut refuser (avec la famille, avec le pays), et ceux liés à des choix que l’on opère soi-même et que l’on est libre de ne pas faire (contrats). Enfin, et même si je me suis efforcé de m’y intéresser, j’ai été peu touché par les réflexions sur le genre et l’identité de genre, que je trouve trop enfermantes et péremptoires pour les raisons que j’ai évoquées plus haut.