Billet de blog 8 août 2024

basseut

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M comme mépris

De la courte histoire du mépris contemporain et de son impact sur l'évolution des sociétés du capitalisme tardif en Europe.

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On peut dire que le mépris est la chose la mieux partagé. Le citadin méprise le plouc qui méprise le parisien. Le professeur méprise le chef d'entreprise philistin qui méprise le fonctionnaire, etc ad nauseam... Il y aurait donc distribution égale de mépris à tour de bras, ainsi allant la marche du monde naturalisé.

Après tout, on rencontre le mépris très tôt, en fait dès qu’on est socialisé – c’est à dire envoyé au bagne scolaire. Mais justement, si c’est la socialisation qui fait rencontrer le mépris, dans la rue, à la maternelle, au supermarché, face à la police ou à d’autres institutions, alors on à faire à quelque chose de totalement sociale, c’est à dire de totalement politique.

Richard Sennett - deux n deux t, le bonhomme est Chicagolais ou Chicagoans, bref de Chicago – sociologue de son état, a écrit un bon bouquin intitulé Respect : De la dignité de l'homme dans un monde d'inégalité et d'une façon certaine tout est ainsi dit. Dans un univers humain façonné par les hiérarchies à multiples facettes - le triptyque classe, race, genre n’étant pas exhaustif, il suffit de penser au validisme à la grossophobie et à bien d'autres normes – ces dimensions se combinent et s’imbriquent. Elles s’articulent à une nécessité : celle de se vendre pour exister dans un mécanisme de contrainte propre au capitalisme, désormais bien décrit – Marx parle mieux du mépris que le réactionnaire Michéa pour citer deux auteurs en M. 

Pour revenir à Sennett et le résumer brutalement, on peut dire que le respect étant gratuit, il pourrait être distribué systématiquement à tout le monde, mais étonnamment c’est exactement l’inverse qui se produit. Le respect est rare, souvent cantonné à la sphère intime ou à l’intérêt du calcul in fine égoïste. Dans son très beau le Secret de la Société, Thiellement Pacôme, décrit avec justesse que malgré toutes les passions tristes et les succès éclatant du Démiurge mauvais qui nous enferme, nous continuons à tourner ensemble, parfois avec joie – on parle même des JO en ce sens.

Il y a là un mystère qui démonte tout ce que le capitalisme tardif dans son idéologie de plus en plus radicalisé – c’est à dire de plus en plus égoïste, violente, haineuse et donc d’extrême-droite, où le libertarianisme comme arrière-plan – ne peut démontrer, et cela malgré sa volonté de jeter un maximum de merde et de confusion à la face de la Vérité.

Mark Fischer dans le Réalisme capitaliste s’emploie à l’illustrer comme pouvait le faire Graeber dans Bullshit Job ou dans son dernier livre co-écrit Au commencement était… Pour dire simplement, malgré toutes les tentatives de nous inculper la peur et le fait que l’homme est un loup pour l’homme, nous continuons à nous battre - le plus souvent collectivement - pour obtenir le respect, et parfois nous l’obtenons. Le féminisme, avenir du genre humain, est un état de fait visible sans loupe déformante, et plus que jamais les lignes de front passent par les corps et les esprits, mais rien n’est perdu, bien au contraire. 

Pour évoquer la personnalité, les décisions et le comportement de Macron, on a beaucoup parlé de mépris, et à juste titre. Macron étant un phillistin idéal-typique de la bourgeoisie financière et managériale régnante – le projet, le costard, la fausse méritocratie du bourgeois de province ayant fait ses écoles d’élite – il dégage par toutes ces émotions et ces pores cette crasse de mépris qui en font l’un des hommes les plus détestés de l’histoire de France.

 Il y a là quelque chose d’important, même en ayant un rapport de force, une histoire, une expérience, la bourgeoisie arrive à auto-détruire son pouvoir politique pourtant grandiloquant. L’hubris et encore l’hubris, qui dira que Trump, Bolsanaro, Milei, Poutine ou Musk offre un visage différent ?

On nous dit souvent qu’il ne faut pas mépriser l’adversaire et le partisan du racisme et du fascisme, mais il est temps peut être de renverser la proposition : n’existe-t-il pas un mépris juste pour les méprisants ? Une violence hélas nécessaire contre les violents ?

Un jeune collègue m’a parlé avec joie et bonheur d’un livre de la Fabrique : Faire Justice d’Elsa Deck Marsault qui aborde les tentatives de sortir de la justice punitive. Et si face au mépris et à ses conséquences, il ne s’agissait que de ça ?

J’insisterai sur le FAIRE, pour avoir justice, il faut agir, et ne pas la confondre avec la revanche – autre facette du mépris. Oui, il nous faudra se donner les conditions pour dé-mépriser, c’est à dire pour comprendre et émanciper, ou alors nous mépriserons notre intelligence et nos capacités. Au boulot !

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