Idéologie des races, rapport à l'autre, comportements individuels, discrimination institutionnalisée... ? Essayons-en plutôt une définition empirique qui commencerait par la question suivante : en quoi suis-je raciste ? Accepter de répondre à cette question serait horrible, ce serait déjà s'avouer vaincu, ou coupable ? Refuser d'y répondre, selon moi, c'est vouer tout échange avec mes semblables à l'échec sur ce sujet.
Côtoyer le racisme, tutoyer le racisme, apprivoiser le racisme, voilà la pente dangereuse, mais nécessaire, pour comprendre une partie du problème. D'ailleurs est-ce vraiment un problème ou d'abord un phénomène observable ? Ne faut-il pas ôter toute culpabilité pour commencer à comprendre, pour accepter de comprendre. La culpabilité est toujours un obstacle.
Voici donc qu'arrive le gros mot de cette expérience : le racisme comme élément naturel de l'homme, aussi naturel que l'empathie ou l'altruisme. Voilà des thèses, en tout cas, que l'on peut défendre, voire réfuter, il y a matière. Mais il n'est pas question ici de développer une thèse. Je vous invite à en faire l'expérience sensible, dans votre expérience personnelle, en vous-même, chez vos proches, votre cercle d'amis, vos connaissances... : en quoi sommes-nous racistes ? Quel serait ce racisme naturel ? Je vous invite à vous poser cette question avec sincérité et à la ressentir.
La tendance à préférer ce qui nous est proche et familier, à privilégier ce qu'on perçoit, consciemment ou non, à tort ou raison, comme notre communauté. Par exemple, pourriez-vous dire : j'aime mes enfants plus que tout ? Ou, j'aime telle personne plus que tout. Oui, plus que tout. La famille, exemple facile, comme préférence (si tel est le cas), n'est-elle pas le premier lieu du racisme ? Cela ressemblerait à une définition positive du racisme, mais ne vous y fiez pas. De toute façon, je le répète, la culpabilité est toujours un obstacle. Parfois, un obstacle aux comportements hostiles aux autres, mais, le plus souvent, un obstacle à la compréhension. Ainsi, la famille (mais vous pourrez trouver vos propres exemples si cela ne vous parle pas) est souvent une préférence. Mais une préférence, c'est toujours une exclusion. Toi, qui n'est pas de ma famille, je ne t'aime pas tant que mes enfants et mes parents. C'est factuel, je dois l'accepter sans culpabilité, pour le comprendre, surtout si je me veux humaniste. Au moins là, et ailleurs très certainement, je touche du doigt ma pente naturelle vers le racisme. Si, j'insiste, et arrêtons de chipoter : je sais bien que beaucoup voudrait réfuter ce point, pour ne pas amalgamer le gros mot racisme, pour ne pas le banaliser... Je crois que ce serait une erreur de ne pas aller au bout de la logique. J'insiste donc.
C'est seulement lorsque j'ai accepté cette tendance naturelle au racisme, non comme vice, mais comme fait, que je peux me poser d'autres questions : pourquoi est-ce que je préfère ma famille ? D'où cela me vient-il ? Est-ce que je peux ne pas préférer ma famille ? Est-ce souhaitable au regard de mes propres valeurs ? Et si cette tendance au racisme avait des effets que je n'estime pas conforme à mes valeurs, que ferais-je ? Car après tout, un penchant naturel, ce n'est pas ce qui me défini, c'est plutôt ce que j'en fais. Je suis gourmand : pourquoi suis-je gourmand ? D'où cela me vient-il ? Est-ce que je peux ne pas être gourmand ? Est-ce souhaitable au regard de mes propres valeurs ? Et si cette tendance à la gourmandise avait des effets que je n'estime pas conforme à mes valeurs, que ferais-je ? Je vous laisse apporter toutes les réponses et développements possibles à ces questions.
A partir de là, j'ose : le problème n'est pas le racisme, mais ce qu'on en fait. Par cette simple affirmation, croyez-moi ou non, on peut se mettre d'accord avec de très nombreuses personnes que l'on estime racistes mais qui ne s'estiment pas spécialement racistes. Parmi toutes celles-là, on peut aisément faire un parallèle avec l'essor important du score du front national.
Je vais vite en besogne, mais je suis pressé, je passe donc directement aux questions qui suivent : quelles sont les attentes de ceux que vous jugez comme affreusement racistes ? Comment leur tendance naturelle s'exprime t'elle quant ils ont des comportements racistes problématiques ? Comment s'influencent-ils entre eux, se rassurent entre-ils entre eux ? Comment les femmes et hommes politiques encouragent-ils, exploitent-ils, répondent-ils à cette tendance au racisme et aux attentes de celles ou ceux qui y sont plus aisément sujets ? Si vous mettez sur le même plan leur racisme et leur gourmandise, pensez-vous les déculpabiliser et les encourager au racisme ? Ne pensez-vous pas que vous pourriez, au contraire, les encourager à reconsidérer leur point de vue ? C'est ce que je pense, à condition d'avoir le temps d'un échange sincère, et j'en ai fait l'expérience. Essayez au moins, mais faites la démarche en vous-même d'abord, avant d'entamer un échange.
Il y a quelques semaines, par cette approche, une personne que j'appréciais alors que je l'estimais raciste, non sans une certaine tristesse, a pu reconsidérer son point de vue. Je savais que ses valeurs n'étaient pas compatibles avec le développement actuel de son racisme (et je crois que c'est le cas de la plupart des personnes qui s'appuient sur un système de valeurs). Elle avait besoin d'être rassurée, plutôt que montrée du doigt, avant d'accepter son racisme et de modifier progressivement son point de vue. Maintenant, nous ne sommes toujours pas d'accord sur tout, mais le dialogue a été rendu possible sur ce sujet et elle a choisi de ne plus voter front national.
On peut chercher à diaboliser, à légiférer, à éduquer, mais les faits son têtus, la nature reprendra ses droits si on la néglige ou si on l'ignore. Diaboliser, jeter des anathèmes, cela est inutile. Cela ne convainc que ceux qui sont d'accord avec vous, ou, peut-être, vous permet de vous sentir comme faisant partie d'une communauté rassurante, sécurisante... Une communauté d'anti-racistes qui exclut toutes les autres, comme s'il était naturel d'être anti-raciste, comme si le racisme était une perversion... Voyez-vous où cela mène ? (je comprend aussi la nécessité ou le besoin ressenti de se mettre "en formation de combat", pour se défendre ou aider les victimes de racisme, mais cela ne suffira pas). Alors légiférer, oui, si on peut et dès qu'on le peut, pour limiter les impacts négatifs de certains comportements racistes, des injustices, des souffrances. Mais cela suppose la compréhension et l'adhésion d'une grande proportion de citoyens à ces lois. Eduquer, ou développer une éducation autour du racisme, assurément, pour que chacun ait l'occasion de se poser les meilleures questions possibles et de comprendre différents points de vue, sans asséner, sans diaboliser, sans mélanger les valeurs, les faits et les comportements. C'est dans cette optique qu'il conviendrait, il me semble, d'inclure une dimension naturelle du racisme dans sa définition.