Billet de blog 27 août 2024

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S comme Soirée

Soirée. Danser, chanter, rire, agiter la nuit qui veut qu’on se taise, assourdir son silence, repousser le sommeil, nier le lever du soleil. Et des fois, et souvent, soirée rime avec d’autres mots que des verbes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce doux et discret prolongement du mot parce qu’à juste titre il prolonge le soir en journée. L’accent aigu est là pour nous élever, c’est un son qui sursaute et soulève la voix, une soirée est rendue journée car un soir s’éclaire. 

Soirée. Danser, chanter, rire, agiter la nuit qui veut qu’on se taise, assourdir son silence, repousser le sommeil, nier le lever du soleil. Et des fois, et souvent, soirée rime avec d’autres mots que des verbes. 

Soirée. Ce sont des discussions lunaires à la lumière d’une unique lampe au centre d’un groupe d’amis – ancien, nouveau, hybride, qu’importe – qui devient le centre de la Terre. Ce sont des conversations lourdes, et plus l’obscurité est intense, plus elles s’allègent.

C’est une métamorphose de sujets durs en rêves, des débats en partage où aucun avis ne doit battre. Peut-être que, par tradition, les étoiles nous guident au cours de ces années lycées, lors de ces paroles sur nos vies, sur la vie, sur le monde. On se réveille plus ouvert sur celui-ci, ses politiques, ses arts, ses sciences. Ces soirs peuvent être rares, mais ils s’incrustent plus longtemps, car en nous des demeures se construisent.

Ce sentiment, c’est peut-être celui d’Arthur Rimbaud quand il écrit Sensation, où « par les soirs bleus d’été » il ira dans les sentiers se perdre, « rêveur », et qu’un amour infini lui « montera dans l’âme ». Son errance solitaire suit les mêmes pas que nos discussions tardives, libres et parsemées. De ces soirées, on ressort plus grand dans l’âme que l’on ne pourra jamais mesurer le corps. Elles ouvrent des portes de pensées (elles ont toutes des résidences), montent des centaines de paires de lunettes à travers lesquelles voir le monde (pas tous les yeux s’adaptent immédiatement).

Ainsi, on comprend ce que ressent Alejandro Ferri, narrateur du Congrès de Jorge Luis Borges, participant de ses réunions nocturnes qui souhaitaient représenter le monde et toute sa diversité – heureusement ? - infinie. Devant cette impossibilité, le Congrès se fait oublier, mais Ferri cherche à se souvenir, à « retrouver les saveurs de cette nuit-là, j’ai cru parfois y parvenir à travers la musique, l’amour, la mémoire incertaine, mais elle ne m’a jamais été rendue si ce n’est en rêve, un beau matin ».

Parce que ces soirées sont précieuses, elles ont un goût étrange, qui traîne sur la langue comme les mots qu’on a sur son bout, elles flottent dans les souvenirs et provoquent toujours un sourire, que le matin transforme en rêve qu’on cherche à décortiquer, ou en réalité qu’on se met à comprendre.

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