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Illustration 1
© Jake Walters

« Une certaine réalité, mise à nu et montrée pour ce qu’elle est, est pourvue d’une forme de beauté », confie le chorégraphe Hofesh Shechter, dont la création oscille entre sarcasme et humour.

HOFESH SHECHTER: Le processus de création est quelque chose d’assez chaotique qui n’a pas toujours de sens. Mais je me suis bien dit, voici environ deux ans : « La prochaine pièce pour ma compagnie s’appellera Sun ». C’était un défi. Allais-je être capable de créer quelque chose de léger, voire de drôle, qui soit porteur d’une énergie positive, d’une certaine forme de beauté ?
Aujourd’hui, très humblement, je crois avoir échoué sur pas mal de points. Cela a néanmoins représenté un point de départ extrêmement intéressant qui m’a permis d’amener d’autres sujets : qu’est-ce que la beauté ? Qu’est-ce qui est bon ? Qu’est-ce qui est mauvais ? Et d’un point de vue social, qui décide de ce que l’on considère comme bon ou mauvais ? Cela a fini par donner vie à un espace ambigu qui joue avec l’obscurité et la lumière. Le propos devient par moments très grave, alors que la forme peut être assez enjouée. Il y a donc une tension entre la gravité et l’hilarité de la pièce.


Pourriez-vous nous donner un exemple de cette gravité?
H. S. : Il y a dans la pièce une certaine dose de sarcasme. Ainsi, nous jouons avec des marionnettes – des personnages en carton découpé – et c’est extrêmement drôle. Mais parmi ces personnages, certains peuvent susciter une atmosphère inquiétante. Une partie des thèmes abordés sont parfaitement ordinaires, des choses que nous connaissons tous, même si nous n’aimons pas du tout en parler. Un grand silence peut alors s’installer dans la salle. C’est là quelque chose que j’aime.


Vous parlez d’hilarité. Diriez-vous que la pièce est drôle?
H. S. : Ce n’est pas nécessairement à mourir de rire, mais il y a beaucoup d’éléments comiques qui surgissent de là où on ne les attend pas, des détails qui ne se trouvent pas tout à fait à leur place.


Et que vous a appris cette pièce sur la façon de percevoir la beauté?
H. S. : Je me suis interrogé sur qui définit l’idée de beauté. Les vainqueurs, ceux qui ont gagné, ont défini notre culture actuelle. Ceux qui ont perdu ont péri et ceux qui l’ont emporté dirigent le monde et définissent ce qui est bon, mauvais ou beau. C’est une évidence : nous savons ce qui est beau, nous pouvons le percevoir et nous sommes en quelque sorte programmés pour savoir ce qu’est la beauté. Mais encore une fois les critères qui la définissent ont été choisis par le camp des vainqueurs, qui ont été meurtriers. Nous vivons aujourd’hui dans un monde où nous aspirons à des idéaux tels que les droits de l’homme et la liberté alors que notre histoire, notre propre histoire récente, est faite d’animaux primitifs qui s’entretuent avec joie à longueur de temps. Pour moi, il s’agit de révéler la nature humaine pour ce qu’elle est. Une certaine réalité, mise à nu et montrée pour ce qu’elle est, est pourvue d’une forme de beauté.


Comment travaillez-vous avec les danseurs?

H. S. : Au début, j’apporte des idées, de la musique, des atmosphères.
D’habitude, je commence par créer des mouvements et ensuite je leur demande d’improviser dans l’énergie de ce que je leur propose. Parfois, nous utilisons comme point de départ leurs idées et leur énergie et cela se développe à travers les conversations que je peux avoir avec eux. Dans l’intimité du studio, nous jouons avec ces matériaux qui grandissent et deviennent de plus en plus riches. Mes danseurs sont extrêmement créatifs et sensibles. Ils sont la matière que je travaille. Ils doivent se connecter aux mouvements que je leur propose. Ils doivent sentir ce qui les meut. Je cherche ce qui peut les faire vibrer.


Propos recueillis par Gia Kourlas (Time Out, New York, 7 novembre 2013)
Traduction Alice Mosca
Sun par la Hofesh Shechter company du 6 au 14 janvier

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