Billet de blog 6 mai 2015

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Les enfants de Pina sont toujours là

Le Tanztheater Wuppertal est de retour, avec Pour les enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain (au Théâtre de la Ville) et Nelken (au Théâtre du Châtelet), deux pièces qui nous donnent des nouvelles de la façon dont nous habitons le monde.

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Illustration 1

En elle, le cabaret des passions humaines a rencontré une formidable meneuse de revue. Pina Bausch n’était pas de ce monde, elle en était son fantôme, errant (comme dans Café Müller, en poupée somnambule, ou comme dans le film de Fellini, E la nave va, en princesse aveugle) au milieu de nos misérables affairements. Pina Bausch était de ce monde, elle en était le miroir, reflétant chacune de nos manies, de nos mesquineries, de nos lâchetés. Son regard vous transperçait, il vous mettait à nu elle était extralucide, voyant avant tout le monde ce que le monde ne veut pas voir. Avec les interprètes du Tanztheater Wuppertal, elle partait en reconnaissance de tous les désirs et de toutes les hontes qui nous constituent et que nous préférons cacher sous le tapis. À la fois psychanalyste et caricaturiste, elle savait déceler, associer, révéler. Les vérités sont parfois cruelles à admettre; Pina Bausch savait les entourer d’humour et de tendresse. Elle avait pour l’être humain une sorte de compassion désabusée, mais avec chaque geste mis en scène, elle renouait avec l’innocence perdue de l’enfance. Salvateur, au fond. Que Pina Bausch ait inventé la danse-théâtre, ou, comme l’on voudra, le théâtre dansé, ne suffit pas. Elle a inventé bien plus : la danse de la personne qui savait qu’« entre la solitude et la compagnie, il est un geste qui ne commence en personne et qui se termine en tous » (Roberto Juarroz). Dans le carnaval des travestissements, où elle a si souvent puisé l’accoutrement de ses danseurs, Pina cultivait un certain esprit de farandole qui s’incarnait dans les défilés obliques qui parcouraient ses chorégraphies. Il y aurait un opus de philosophie à écrire sur ce qui, dans l’art de Pina Bausch, unissait et séparait simultanément le sujet et la communauté: l’un n’est rien sans l’autre, et c’est précisément dans cette nécessité-là que naissent les embrouilles qui font tout le sel (un peu piquant, surtout lorsqu’il est versé sur nos plaies) de l’existence. Autant ne pas le cacher : on a du mal à parler de Pina Bausch au passé. Comme on aimerait qu’elle soit encore là pour venir nous donner des nouvelles malicieuses, à la fois attristées et joyeuses, de notre monde comme il va, cahin-caha et cul par-dessus tête !
Mais la belle compagnie du Tanztheater Wuppertal est toujours là, qui continue à piétiner les oeillets de Nelken, et à batifoler dans les jeux à vivre de Pour les enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Qui sont-ils, ces « enfants » à qui Pina Bausch dédiait cette création de 2002, présentée l’année suivante au Théâtre de la Ville ? Avant tout, les danseurs qui forment la troupe (non guerrière) de Wuppertal. N’ontils pas le privilège de pouvoir retrouver, sur scène, l’insouciance des jeux de l’enfance, de laisser libre cours à l’imagination et à la fantaisie ? Joyeux chahut où l’on se livre à de folles courses-poursuites sur des chaises à roulettes ou des skateboards, moments d’accalmie où l’on se raconte des histoires fantastiques, surgissement de solos dansés où jaillit la vie sans retenue, même lorsque s’immisce la fêlure de l’amour.
Nelken, d’autre part, créé vingt ans plus tôt, est une pièce d’anthologie : après les premiers spectacles, conçus avec Rolf Borzik, une longue complicité s’engage avec Peter Pabst. Avec Nelken, les milliers d’oeillets fichés au sol vont contribuer à graver à jamais certaines images dans la mémoire. À la création : le fameux « qu’est-ce que vous voulez voir encore ? » de Dominique Mercy, effectuant grands jetés et entrechats, ou encore l’inoubliable interprétation en langue des signes de The Man I Love, par Lutz Förster. Les cascadeurs qui se jettent des cintres. Les bergers allemands en bord de scène. Et la chaîne des danseurs en serpentin, emblème de l’inégalable foyer attisé par Pina Bausch, où la danse devient quête d’amour autant que champ de bataille.
Jean-Marc Adolphe
Nelken Tanztheater Wuppertal Pina Bausch au Théâtre du Châtelet du 12 au 17 mai
Für die Kinder von gestern, heute und morgen Tanztheater Wuppertal Pina Bausch au Théâtre de la Ville du 21 au 30 mai

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