
Auteur, metteur en scène, acteur et musicien, David Lescot est artiste associé du Théâtre de la Ville. Son parcours protéiforme dévoile progressivement les différentes facettes d’une oeuvre sensible et réfléchie en prise avec la réalité du monde.
On ne le sait pas forcément, mais David Lescot c’est aussi une compagnie de théâtre, la Compagnie du Kaïros qui a dix ans cette année. Pourquoi avoir créé une compagnie ? à quoi fait référence ce nom de Compagnie du Kaïros ?
David Lescot : Le Kaïros est une notion de philosophie politique qui signifie le bon moment. Il y a des choses qui sont bonnes, mais seulement dans la mesure où elles sont accomplies à tel instant et non à tel autre. Cette notion remet en question l’absolu de la morale. Il n’y a pas de catégories fixes. La réalité ne cesse de bouger et de se reconfigurer. Il faut être à l’écoute du mouvement du monde pour s’efforcer d’être en accord avec lui. Quant à l’envie de créer une compagnie, cela vient, je crois, du besoin à un moment donné de ma vie de réunir des personnes avec lesquelles je me sentais des affinités. Le fait de se choisir et de faire un bout de chemin ensemble, quelque chose qui est lié en même temps au hasard des rencontres et de la vie est une idée qui me plaît beaucoup. Cela passe par l’amitié, l’admiration, l’estime réciproque. On se rassemble et puis on progresse.
Vous êtes auteur et metteur en scène. Les deux ont-ils toujours été liés ?
D. L. : Oui. Le premier texte que j’ai écrit en tant qu’auteur, ce n’était pas tant pour être auteur que pour réunir des gens et inventer ensemble une forme mêlant jeu et musique. C’était Les Conspirateurs il y a une quinzaine d’années. Cela s’est fait avec les moyens du bord, sans savoir si on allait le jouer en public. Dès qu’il a été question de le montrer, j’ai compris que je devenais metteur en scène et non plus seulement l’ordonnateur d’un projet. Parce que tout d’un coup se posait la question du public. Le rôle du metteur en scène, c’est de prendre en charge cette responsabilité du rapport au public. On construit un bateau, le public c’est la mer. Il y a un architecte, des marins… Le bateau commence à voguer quand le public arrive. Le responsable, c’est le capitaine, autrement dit le metteur en scène.
Un homme en faillite, L’Européenne, Le Système de Ponzi… Vos spectacles sont très souvent en prise sur le présent. Est-ce délibéré ? Pensez-vous que votre théâtre a une dimension politique ?
D. L. : Ce qui m’intéresse c’est de guetter dans le réel le potentiel poétique, plutôt que de projeter directement ma propre intériorité. Je regarde autour de moi ; je suis à l’écoute du monde. J’estime faire un théâtre politique, mais pas un théâtre militant. Je n’ai rien contre l’agit-prop, mais ce n’est pas là que je me situe. Même si j’ai pu écrire un texte sur les Pussy Riots en août dernier à la Mousson d’été, parce que je les trouve vraiment courageuses.
Vous êtes artiste associé du Théâtre de la Ville. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
D. L. : Cela s’inscrit dans la continuité d’une relation de fidélité avec Emmanuel Demarcy-Mota, qui re monte à l’époque où il dirigeait la Comédie de Reims. Fabrice Melquiot m’avait invité là-bas en tant qu’auteur. Un homme en faillite a été produit par la Comédie de Reims inaugurant une collaboration qu’Emmanuel Demarcy-Mota envisage comme une construction, c’est- à-dire quelque chose qui se développe. Il est conscient que ce qui est acquis aujourd’hui dans le théâtre public ne l’est pas pour toujours. D’où la nécessité d’une inscription dans le temps qui fait qu’à un moment on va vous reconnaître, vous identifier et que cela ne se fait pas en une seule fois. Emmanuel est aussi sensible au fait que je travaille avec un collectif d’acteurs auquel je suis fidèle. Le fait que nous appartenions à la même génération est important aussi. Enfin nous sommes tous deux héritiers à travers nos parents d’une histoire du théâtre public. Emmanuel est très sensible à ça parce qu’il a un sens historique. Il a ce souci d’inscrire le Théâtre de la Ville dans une histoire du théâtre d’art non seulement en France, mais aussi en Europe.
propos recueillis par Hughes Le Tanneur
2 spectacles au Théâtre des Abbesses :