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« Mon nom, c’est Serge Amisi. Je suis né à Kinshasa vers la fin des années 1980, je ne sais pas très bien… » C’est par ces mots que débute le récit d’un enfant qui vivait des jours heureux auprès de son oncle lorsque des militaires ont surgi, l’ont embrigadé et contraint à son premier « acte de bravoure »: tuer son oncle « pour ne plus avoir peur de tuer d’autres gens »… La leçon sera efficace et bien retenue. À dix ans et pour cinq années de violences et de terreurs absolues, il devient un kadogo, un enfantsoldat.
Démobilisé en 2001, il intègre un centre artistique et fait feu de tout art, avec la fièvre de ceux qui ont beaucoup à rattraper, lui qui est un « vétéran » à l’âge où l’on est ailleurs un adolescent. Il sculpte du métal (de récupération !), danse et monte pour la première fois sur scène, s’initie à la marionnette (lui qui avait été si manipulé) et décide d’écrire ses années d’enfance, ses années d’enfer. Un récit écrit en lingala et traduit en français (« Dans le français que je parlais à ce moment-là. Ce n’était pas du français de l’école, c’était le français que j’avais attrapé comme ça comme ça. »). Un récit qui a la force du vécu et la nudité du vrai. Un récit cru et brut, essentiel pour lui, pour nous.
Serge Amisi nous dit le quotidien rythmé au cadran de l’horreur. Les armes qui permettent de se… dépasser (« Comme je suis petit dans mon corps, il faut que je sois grand avec mon arme. »), les drogues auxquelles on adresse quelques louanges païennes (« Je vous salue likaya, pleine de graines./L’emballage est avec vous./Vous êtes bénie parmi toutes les feuilles… »). Et puis les intimidations, les humiliations, les punitions, et, bien sûr et surtout, la mort, quotidienne, celle que l’on frôle et, pire, celle que l’on donne.
Il nous permet de pénétrer au coeur même de la folie des hommes, là où plus rien ne compte, là où tout est bon pour sauver sa peau et où, pourtant, le petit militaire achète des jouets avec sa solde après avoir accompli sa tâche.
Il nous révèle l’imbroglio de cette sous-région du continent, les combats légitimes, les alliés de circonstance, les milices et les armées régulières, les compromissions occidentales… Une géopolitique complexe, à la démesure des richesses et donc des convoitises locales et étrangères qui s’y affairent, ici comme ailleurs, sans scrupule ni pitié pour tous les kadogos de la terre. Pour amener ce texte à la scène, Arnaud Churin a choisi de rendre sa parole à « l’enfant de demain », à Serge Amisi. Aux côtés du comédien Mathieu Genet, il est cette présence gémellaire, garante de fidélité, comme une évidence de rédemption pour cet homme à l’enfance meurtrie et sauvé par l’art. « Ma mère, mon père, ce n’est plus mon arme, ce n’est plus ma kalachnikov. Ma mère, mon père, c’est aujourd’hui l’art et la sculpture, la danse et le théâtre. »
Bernard Magnier
L’Enfant de demain du 9 au 23 décembre au Théâtre de la Ville - Café des œillets