Billet de blog 9 janvier 2014

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Ouvrir les sens

Toucher un paysage, s’y heurter, le traverser. D’un dialogue avec des aveugles à la présence sur scène d’un mobile de Xavier Veilhan, Fabrice Lambert cherche ce qui fait lien dans une image.

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Illustration 1
© Alain Julien

Toucher un paysage, s’y heurter, le traverser. D’un dialogue avec des aveugles à la présence sur scène d’un mobile de Xavier Veilhan, Fabrice Lambert cherche ce qui fait lien dans une image.

ENTRETIEN FABRICE LAMBERT
D’abord interprète dans les compagnies de Carolyn Carlson, Catherine Diverrès, Kubilaï Khan ou Rachid Ouramdane, Fabrice Lambert dirige la compagnie L’Expérience Harmaat depuis 2000, au sein de laquelle il chorégraphie, outre des pièces de groupe, trois solos : Le Rêve en 2002, Gravité en 2007 et Nervures en novembre 2013. Pour ce dernier solo, il a demandé à Xavier Veilhan de lui créer un mobile, partenaire de danse.


D’où vient votre volonté de décloisonner les disciplines en collaborant régulièrement avec d’autres artistes?
FABRICE LAMBERT : Je pense que la danse appelle un ensemble de perceptions
et que l’une de ses principales caractéristiques est d’ouvrir les sens. Plus que le fait d’être danseur, c’est une démarche d’auteur qui m’a poussé à être chorégraphe. C’est parce que j’avais envie de porter un corps sur le plateau qu’est venu le désir de décloisonner et d’aller vers d’autres artistes pour croiser nos pratiques et nos connaissances. Je perçois la vie et mon entourage à la façon dont je suis moi-même constitué. C’est cette relation de l’individu à son propre environnement que je mets en scène dans mes pièces et la recherche de collaborations avec des artistes plasticiens, sonores ou vidéastes, vient de ce désir de relier des corps à des espaces.


Comment est né ce projet, Nervures, avec Xavier Veilhan?
F. L. : La thématique première de ce solo concerne le regard qu’on porte sur l’environnement à travers la notion de paysage et j’avais besoin d’un partenaire spatial. J’ai pensé au travail sur les mobiles de Xavier Veilhan. Je suis allé le voir, non pas pour lui proposer une collaboration, mais pour travailler sur un objet précis en lui expliquant quel type de relation j’envisageais de nouer avec cet objet : un espace où chaque chose a une vie autonome et dont l’association crée un paysage subjectif. D’où le titre, Nervures.
Qu’est-ce qui fait le lien dans une image ? Je voulais reconstituer un paysage avec un objet dont je ne pouvais avoir la maîtrise du mouvement et qui allait être mon partenaire. Le mobile bouge au gré de ce qui se passe autour de lui, de l’invisibilité des courants d’air que je peux provoquer, mais dans un décalage temporel qui m’empêche d’anticiper sa position au moment où je m’en approche. Xavier Veilhan a décidé de construire un mobile à bâtons en carbone, en tenant compte des dimensions du plateau et de ma taille. Il n’a jamais été question de cosigner la pièce ensemble, on a simplement croisé son désir de détourner ses objets de leurs lieux habituels d’exposition, les musées, et le mien.


Quelle place occupent les récits en voix off qui témoignent du paysage, en se fondant sur la mémoire plutôt que sur le regard?
F. L. : En me posant la question du paysage, j’ai voulu aller vers des personnes qui ont perdu la vue pour parler avec eux des paysages qu’ils se sont réinventés ou du souvenir de ceux qu’ils ont mémorisés. Je leur ai demandé de me décrire des images, à partir desquelles j’ai travaillé.
Avec ces interviews, j’ai redécouvert qu’un paysage, on le touche, on le suit, on s’y heurte, on le contourne ou on le traverse. Et ce sont des mémoires, des sensations, du mental. De même, les ruptures gestuelles qui composent la chorégraphie viennent de ces dialogues avec des aveugles qui décrivent ainsi la cécité : un moment, plus rien. Et ce moment de la cécité est aussi celui d’une rupture à partir duquel ils doivent reconstruire. On retrouve cette notion de rupture dans le choix des musiques, des compositions pour boîtes à musique et cloches ou orgue et clavecin, de Pawel Szyman´ski, au rock de Mogwai ou aux séquences créées par le designer sonore Frédéric Laügt.


Propos recueillis par Fabienne Arvers

Nervures & Gravité par Fabrice Lambert du 20 au 25 janvier aux Abbesses

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