amosca@theatredelaville.com

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Avec neuf interprètes, Ambra Senatore tisse de façon espiègle, entre improvisation et écriture, pagaille et assemblage, le jeu des relations humaines.
C’est une pièce d’intérieur, car elle se donne dans la nuit d’un théâtre, et ce qui éclot alors, dans le doux papillonnement des gestes, dans l’étirement des corps, dans l’assemblée qui se forme hors de toute urgence, ne pourrait survenir que là, alcôve-cocon où le temps (le temps que l’on prête aux choses de la vie) semble avoir une densité singulière, comme décompressée, un brin nonchalante, même si affûtée, aux aguets des surprises.
C’est une pièce d’extérieur, car la scène devient terrain de jeux, et ce qui fleurit alors, dans la spontanéité des actions, dans la flamme des mouvements, dans la communauté qui batifole hors de toute mise au pas, ne pourrait advenir que là, clairière-foyer où l’espace (l’espace que l’on accorde aux signes du commun) semble accueillir une mémoire partageuse, comme enfantine, un brin champêtre, même si architecturée, au levain d’une écriture.
Intérieur/extérieur, nuit et jour, théâtre/clairière, chorégraphie et jeu. Dans Aringa rossa, Ambra Senatore n’oppose pas ces ingrédients ; ils sont au contraire la matière même d’un tissage élastique et dynamique, à la façon d’un puzzle dont les pièces, sitôt ajustées, ne cesseraient de reconfigurer leurs contours. Y a-t-il un sens caché? Des règles du jeu qui, sans être exposées, régiraient une logique de situations ? Ambra Senatore parle volontiers « d’indices », sans qu’il y ait le moindre secret à percer. Rien de précis à découvrir: rien d’autre que ce qui se découvre au gré des relations humaines que s’inventent les neuf danseurs ici réunis. Le titre, Aringa rossa, est la traduction italienne d’une expression anglaise, « red harring » (hareng rouge), qui qualifie dans le cinéma des récits à fausse piste, qui leurrent le spectateur pour mieux le surprendre par la révélation d’un fait inattendu. Si « fausse piste » il y a, dans la chorégraphie d’Ambra Senatore, elle consiste peut-être à faire croire que la danse n’obéit à d’autre logique que celle de l’improvisation (ce qui est d’ailleurs, en partie, le cas de certaines séquences), procurant fraîcheur et liberté dans l’allant du mouvement. Mais sans que l’on s’y attende vraiment, des inflexions communes rassemblent soudain, à l’unisson, ce qui semblait épars et disparate. De même, des effusions pagailleuses se dissipent tout aussi soudainement et se figent en un tableau que l’on n’avait pas vu venir. Cette façon de surprendre le regard, davantage encore que les nombreuses pointes d’humour qui agrémentent Aringa rossa, caractérise l’ironie facétieuse, la grâce mutine et la subtile espièglerie que l’on a pu déceler dans les premières pièces de la chorégraphe italienne. Se confrontant pour la première fois à un groupe de neuf danseurs, Ambra Senatore donne de nouvelles couleurs à un « genre », que l’on qualifiait voici quelques années, parfois trop communément, de danse-théâtre. Un théâtre de gestes, de situations en mouvement, d’où la parole n’est pas absente, sans qu’il y ait un texte à faire valoir : simplement le contexte kaléidoscopique de ce qui nous rend vivants, dans la relation aux autres.
Jean-Marc Adolphe
Aringa Rossa du 11 au 14 février

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.