Billet de blog 10 février 2016

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« CE ZÈLE EST TROP ARDENT… »

Destructeur d’idoles, martyr prêt au sacrifice pour faire triompher le seul vrai Dieu à ses yeux : pour Brigitte Jaques-Wajeman, le Polyeucte de Corneille est d’une grande actualité.

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SOUVENT, QUAND JE DIS À QUELQU’UN QUE TU VAS MONTER POLYEUCTE, MON INTERLOCUTEUR LÈVE LES YEUX AU CIEL AVEC UN AIR PIEUX ET MURMURE: « AH, POLYEUCTE! » POURQUOI?
BRIGITTE JAQUES-WAJEMAN: C’est l’histoire d’un martyr chrétien, jeune marié comblé, qui, à peine baptisé, se rend au temple pour y briser les idoles païennes et faire triompher le seul vrai Dieu, l’unique, à ses yeux. Pressé de le rejoindre, il n’a désormais qu’une hâte : celle du sacrifice, du renoncement à l’amour terrestre et un goût pressant de la mort. « Vous voulez donc mourir ? » lui demande son ami Néarque, effrayé, lui qui pourtant l’avait initié. « Vous aimez donc à vivre ? » lui rétorque Polyeucte. La messe est dite !
DE QUI CORNEILLE FAIT-IL LE PORTRAIT: D’UN SAINT? D’UN FANATIQUE (COMME LE DIT VOLTAIRE, QUI ADMIRE LA PIÈCE)? D’UN HÉROS?
B. J.-W.: Ce martyr inconnu que Corneille est allé chercher dans les débuts du christianisme ressemble plus à un « héros » tel qu’Horace, qu’à Saint Jean de la Croix ! On cherche en vain un peu de douceur évangélique ! Le martyre est pour Polyeucte l’occasion de se donner une destinée hors série.
POURQUOI CORNEILLE A-T-IL INVENTÉ LE PERSONNAGE DE SÉVÈRE?
B. J.-W. : Avec Sévère, Corneille introduit le désir, la chair, l’amour contrarié, qui deviennent des ingrédients essentiels de la pièce. Sévère est un héros mélancolique. Ancien amant de Pauline, toujours ardemment aimé, et toujours insatisfait. Il est le seul protagoniste mesuré de la pièce, bienveillant avec les religions, quelles qu’elles soient. Il offre un contraste poignant avec l’excès et la radicalité de Polyeucte.
ET PAULINE?
B. J.-W. : Pauline est une fille trop obéissante. Elle a aimé Sévère de toute son âme ; son père Félix, une canaille, a exigé qu’elle renonce à cet immense amour. Par devoir, pour lui obéir, elle a épousé Polyeucte, qu’elle aime désormais, mais sans oublier l’autre, on le verra! Déchirée entre ces deux hommes, sa soumission au père, au devoir qu’elle dit « inexorable », est un mystère. Cela crée chez elle des abîmes de souffrance et de renoncement.
Propos recueillis par François Regnault
Polyeucte de Cornelle, mise en scène Brigitte Jaques-Wajeman du 4 au 20 février aux Abbesses

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