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Figure de proue de la danse sud-africaine actuelle, Gregory Maqoma « invente » la figure d’un chef tribal du XIXe siècle, héros de la lutte anti-coloniale.
Il est un point qui ne fait pas de doute. Jongumsobomvu Maqoma fut un héros : né en 1778, chef parmi les plus renommés des Xhosas, arrêté dans le contexte de rudes transactions avec les colons anglais, mort en prison en 1873. Il est un point qui fait question: comment Gregory Maqoma peut, en 2012, évoquer cet ancêtre, qui a pris la taille d’un monument dans les mémoires ? Gregory Maqoma, chorégraphe et danseur, est l’une des figures de proue de la danse sud-africaine actuelle ; autrement dit, du paysage chorégraphique mondial. Issu des mouvements de danse ayant grandis dans la résistance à l’apartheid, il a épousé la formation de l’école P.A.R.T.S. (créée par Anne Teresa De Keersmaeker à Bruxelles). Coutumier du circuit international de la danse, sa pièce Exit/Exist a rencontré un tel succès que le Théâtre de la Ville la reprogramme cette saison, après l’avoir déjà montrée en 2013.
L’image la plus proche de ce qu’est aujourd’hui Maqoma, réside sans doute dans celle qu’il donne en entrée de ce solo, celle d’un jeune urbain élégant, dont le swing s’équilibre au milligramme. À partir de là, comment se projeter vers la figure du chef tribal du XIXe siècle, ce héros, sans produire une danse monumentale, figée, édificatrice – à tous les sens du terme ? Question toute contemporaine.

Il faut choisir. Ou bien on croit en un rapport de filiation linéaire, univoque et par voie descendante; qu’on en découle, par héritage. Ou bien on envisage qu’un ancêtre est tel que nous le construisons, tout à rebours d’hypothèses et de flottements fluctuants ; et que cela s’invente, se fabrique, s’essaie.

En solo, choralement accompagné, Gregory Maqoma a manifestement choisi cette deuxième option. Fût-il hommage, son spectacle est composé de temps séparés, tuilés, où semble déambuler un corps tout d’ouvertures. D’amples et douces rhétoriques de girations des bras sont portées haut et flottantes, loin audessus des partitions sophistiquées de pas, ancrés. Si la danse de Maqoma est des plus subtiles, ondoyantes et délicates, elle est celle d’un corps non clos, disponible et relié ; qui révèle. Elle ne fait pas icône. Elle déploie l’imaginaire.

Ainsi se construit un ancêtre de liens, par danse qui revient de très loin. Parfois, la circulation dans le temps, non linéaire, cristallise dans la condensation d’un présent intensifié de pratiques rituelles, non éternelles, mais absentées du cours platement chronologique qui irait du passé au futur. Ces pratiques opèrent au contact de matières, terreuses, liquides, textiles. Il est à voir ce lien aux traces, aux marques, aux objets : si Gregory Maqoma change de costume, alors il met autant de temps, d’attention, à se dépouiller de l’ancien qu’il en mettra à enfiler le nouveau. C’est dire l’importance de la métamorphose, du travestissement, dans la construction de soi à travers l’autre, par projections couche à couche. Le titre de tout cela : Exit/Exist. Soit les notions de sortir et d’exister. Mais sortir de quoi ? Exister comment ? Alors : produire sa mémoire, comme on construit sa vie.
Gérard Mayen
Exit/Exist de Gregory Maqoma du 17 au 21 mars

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