
TWELFTH NIGHT, La Nuit des rois. Nuit de carnaval au lendemain de l’épiphanie, où tout peut arriver ; d’ailleurs tout arrive. Pour commencer, un naufrage, qui laisse les survivants sur les bords d’un pays, l’Illyrie, dont personne n’a entendu parler – et pour cause. S’ensuivent d’improbables rencontres plus ou moins amoureuses, échanges d’identité, travestissements divers… Au titre, Shakespeare ajoute « What you will », ce que vous voulez. Séduite par cette liberté, Bérangère Jannelle se lance dans l’aventure, envisage d’abord d’en tirer un film. Formée par le théâtre, elle ne s’y enferme pas, s’intéresse à la philosophie comme au cinéma. Elle a d’ailleurs réalisé plusieurs courts-métrages et un documentaire à partir de la pièce de Pasolini, Pylade. Ses références puisent essentiellement dans la nouvelle vague italienne : « Antonioni pour sa langueur rêveuse, et puis bien entendu Fellini pour son goût du théâtre qui se retrouve dans chacune de ses oeuvres, pour ses musiques, sa mélancolie, sa sensualité. » Pendant trois ans, elle travaille sur l’adaptation, avec André Markowicz. Après quoi, elle décide de revenir à la source. Au théâtre, tout en conservant les codes cinématographiques : « montage, enchaînement des séquences, rythme, jeu, gros plans… en l’occurrence sonores. Le spectacle ne comporte en effet aucune vidéo ni projection d’aucune sorte. Et puis, étant donné le nombre de personnages, lourd à assumer au théâtre, les rôles sont concentrés sur huit comédiens, avec le parti pris très fort de pointer ce quelque chose de souterrain et de permanent avec Shakespeare : les fragilités identitaires. Les personnages sont là, dans une position de post-naufrage, égarés, encore flottants. Une situation qui permet de confronter les désirs égoïstes, les désirs d’aimer, de devenir autre, et même quelqu’un d’autre.
En fait, cette pièce traite de la métamorphose, des mutations. Les naufragés se retrouvent en terre inconnue, ouverte à tous les changements, et pour laquelle ils peuvent inventer une nouvelle façon de vivre, une société toute neuve. Et se produit alors la confrontation entre les désirs et une nécessité politique, que chacun assume à sa manière. » Hier et aujourd’hui se rejoignent, y compris là où à Paris est présentée cette Nuit des rois : jouxtant la mairie du 3e arrondissement, le Carreau du Temple. Lieu historique, entièrement rénové à l’identique, ossatures métalliques, immenses verrières filtrant le jour… Et dont Bérangère Jannelle inaugure la salle de spectacles. Et que la fête commence!
Elle commence dans une salle de pompes funèbres, reconstituée de façon assez réaliste. Manière de poser directement le sujet. En effet, l’île est habitée par la jeune Olivia qui, depuis sept ans, porte le deuil de son frère… D’autre part, Viola, persuadée que Sébastien, son frère jumeau, est mort dans le naufrage, endosse son identité, de sorte qu’Olivia en devient amoureuse… Juste un exemple des quiproquos et malentendus qui se bousculent tout au long de la pièce. Et la fête continue ! Que Bérangère Jannelle promet bien déjantée, suffisamment alcoolisée. Et l’on quitte les pompes funèbres pour un établissement façon boîte de nuit irréaliste, tout en rideaux noirs, éclairages trompeurs, chansons, tubes de toujours, musiques diverses, de celles qui font danser, de celles qui emmènent ailleurs. Ainsi, les musiques baroques, portées par la voix de Thomas Gonzalez. Haute-contre et danseur, il nous fait voyager dans le temps et le rêve, jusque dans les rideaux blancs d’un univers sans âge, le théâtre.
Colette Godard
Twelfth Night, La Nuit des rois ou ce que vous voulez du 12 au 28 avril 2014 au Carreau du Temple