
Pour le metteur en scène néerlandais Ivo van Hove, Juliette Binoche « apporte une vraie profondeur » au personnage d’Antigone, face à un choeur qui est « très visible sur scène ».
Quand Juliette Binoche a annoncé qu’elle voulait jouer en anglais, son producteur a tout de suite pensé à un metteur en scène. Qui pourrait mieux la diriger qu’Ivo van Hove ? Le Belge avait déjà impressionné les spectateurs avec des productions aussi diverses que Vu du pont d’Arthur Miller ou Les Tragédies romaines, un formidable spectacle de six heures mêlant trois pièces de Shakespeare. Il saurait offrir à Juliette Binoche l’approche intelligente et imaginative qu’elle recherchait.
Juliette Binoche et Ivo van Hove ont alors été formellement présentés et, bien des conversations plus tard, ils se sont mis d’accord sur un projet qui les enthousiasmait tous les deux. Ils partageaient le désir de s’atteler à une tragédie grecque: une pièce s’est imposée à eux, Antigone. Pour eux, le conflit tragique qui oppose Créon, refusant l’enterrement à son ennemi, et Antigone, décidée à rendre les hommages dus à son frère, fait écho à l’intransigeance qui règne dans le monde d’aujourd’hui.
« Antigone est une jeune femme têtue, mais elle est aussi bien plus que cela, explique Ivo van Hove. C’est un personnage faisant l’expérience d’un deuil extrême, auquel on peut s’identifier. Elle vient de perdre son père, ses deux frères, et sa mère est déjà décédée. C’est une situation extrêmement difficile. Juliette ne fait du théâtre que tous les deux ou trois ans et elle veut donc travailler ses rôles jusqu’au bout. C’est pour moi une très très grande actrice et elle va apporter une vraie profondeur. » Ce qu’Ivo van Hove va apporter est plus difficile à pointer du doigt tant son style est impossible à définir. Quand l’une de ses pièces se joue à la vitesse grand V, la suivante se déroule comme dans un rêve. Qu’ont en commun l’Antonioni Project et le dépouillé Vu du pont ? Sans parler des Scènes de la vie conjugale. Sa technique consiste à identifier la voix propre à chaque pièce.
« Je n’ai pas de style, dit-il chez lui aux Pays-Bas, où il occupe le poste de directeur général du Toneelgroep Amsterdam. Je suis beaucoup plus intéressé par l’urgence de la scène. Je choisis un texte parce qu’il y a urgence à le faire et que je veux le présenter aux spectateurs d’aujourd’hui. Après, bien sûr, on commence à discuter sur la façon de le mettre en scène, mais le point de départ est toujours le texte. »
Dans le cas d’Antigone, il a trouvé cette urgence dans le choeur. « Cela n’a aucun sens de monter une tragédie grecque si on ne s’intéresse pas au choeur, expliquet- il. Le choeur est une incarnation de la société, ce qui amène à se demander ce qu’est la société au XXIe siècle. Le choeur fait partie de l’histoire de la cité et, par conséquent, il a un point de vue sur le futur, sur ce qu’il faut faire et ne pas faire. Il sera très visible sur scène. » Bien qu’il soit témoin des morts et du désespoir, le choeur est composé de survivants et Ivo van Hove voit la possibilité d’un espoir dans leur capacité à s’adapter. « Le monde est sombre et brutal, ajoute-t-il. C’est formidable de mettre en scène le duel entre Créon et Antigone, mais c’est un combat sans fin. La solution n’est ni une société entièrement régie par l’émotion, ni une société entièrement régie par la rationalité. Et c’est là que le choeur intervient. »
Mark Fisher
Antigone du 22 avril au 14 mai au Théâtre de la Ville