Billet de blog 13 octobre 2014

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Fluide comète

Avec la musique de Philip Glass et la projection d’un film de Sol LeWitt, la mathématique stellaire de Lucinda Childs rayonne dans DANCE.

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Illustration 1
© Sally Cohn

Avec la musique de Philip Glass et la projection d’un film de Sol LeWitt, la mathématique stellaire de Lucinda Childs rayonne dans DANCE.

Minimal, ce n’est pas rien. Minimal, comme on dirait minéral, comme on dirait animal, comme on dirait subliminal. Minimaliste, alors ? Tout un art, qui saurait que le moindre pas, le moindre trait, la moindre lueur, peut contenir tout le cosmos. Peut-être fallait-il être née quelque peu étoile pour arriver à ce fiat lux, que la lumière soit. Lucinda Childs la bien nommée, luciole, rayonnante, diffractante.
L’univers est une chorégraphie de particules en mouvement. Il fallait inventer, dans le secret chiffré d’une partition, la mathématique stellaire qui s’accorderait à cette pulsation universelle. Lucina Childs l’a fait. Ce fut DANCE, en 1979. Le titre dit tout, il hérite de Merce Cunningham (« le mouvement est expressif en luimême ») et de Gertrude Stein (« A rose is a rose is a rose »), parfait enclos d’une forme qui n’aurait d’autre définition que son tracé, aussi méticuleux que lumineux.
DANCE, ou la houle blanche des corps sur la page quadrillée de l’espace, balancier des bras et des jambes en oscilloscope, tempo dont la colonne vertébrale donne l’axe, petits sauts et déboulés qui suffisent à créer l’électricité motrice dont l’ivresse rythmique est le seul combustible. La musique de Philip Glass (avec laquelle Lucinda Childs s’était familiarisée pour les séquences dansées de Einstein on the beach, de Robert Wilson), offre en pleine générosité ses vagues répétitives, brodées de subtiles variations. Danse et musique : à deux, c’est déjà une polyphonie. Mais voilà que s’incrustent, diaphanes, d’autres corps : les mêmes que sur scène (lors de la création), redoublés par un film de Sol LeWitt projetés sur un non-écran de toile. « Le cadre de scène est un courant d’air sans visage », disait Trisha Brown, contemporaine de Lucinda Childs au sein de la Judson Church à New York, chaudron expérimental de toute la postmodern dance américaine. Avec DANCE, la scène devient pluridimensionnelle, les perspectives se superposent, se « cristallisent » dans l’incandescence d’une sorte de comète fluide.
DANCE date d’une époque où l’on ne parlait pas encore d’art sensoriel. La pièce de Lucinda Childs en a pourtant toutes les qualités, tant le mouvement, pollen multiplicateur, transporte ici la vision vers d’insoupçonnées étendues perceptives, flamme vive qui propage contagieusement son devenir incendiaire. Un mouvement lancé à sa propre poursuite, pris dans le délicieux oubli des chiffres qui le scandent : cela s’appelle, sans doute, une « mathématique supérieure ».
Implacable feu de l’action où se joue pourtant une extraordinaire sérénité, comme aimantée par le tracé qui crée le flux, jamais en tourbillon, suprême maîtrise d’un espace où infuse le moindre tressaillement. La danse ramenée à un nerf, une essence irréductible, qui conduirait presque à parler de « danse pure », filtrée de toute scorie, quand bien même on sait que la pureté est un fantasme – parfois dangereux. Et l’apparent paradoxe, dans les méandres de ce courant « minimaliste » dont DANCE est l’une des plus magistrales pièces d’orfèvrerie, veut que c’est en se faisant science des alliages (ici avec la musique de Philip Glass, avec le film de Sol LeWitt), que la danse se révèle à elle-même, énigmatique et éloquente, sauvage et domestiquée, charnelle et abstraite, matérielle et transparente. DANCE est une pièce éminemment alchimique.


Jean-Marc Adolphe

Dance de Lucinda Childs, du 17 au 25 octobre, avec le Festival d'Automne à Paris

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