Billet de blog 14 février 2013

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L'âge de vieillir sans grisaille

Avec Lendemains de fête, partition scénique tissée de mots, de présences, de gestes, de sons et de vidéos, Julie Berès déplace avec tendresse et fantaisie le regard que nous portons sur «les vieux». Du 25 février au 5 mars au Théâtre de la Ville.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avec Lendemains de fête, partition scénique tissée de mots, de présences, de gestes, de sons et de vidéos, Julie Berès déplace avec tendresse et fantaisie le regard que nous portons sur «les vieux». Du 25 février au 5 mars au Théâtre de la Ville.

Illustration 1
Lendemains de fête © Philippe Delacroix

Le temps depuis longtemps s’en est allé. Longtemps qu’il file en douce, et filoche de plus belle, et s’enfuit de loin en loin. Longtemps qu’il flétrit la peau rugueuse des jours de bonheurs en déboires, qu’il effeuille un à un les plaisirs, et lape tranquillement la sève déposée hier à la rosée. Pourtant le tremblement des premières fois bourdonne toujours au lointain, murmure au creux du ventre. Pourtant, la chair encore tressaille sous la caresse du désir et l’esprit babille avec curiosité au moindre vent nouveau. Jacques, septuagénaire mélomane, vague ainsi dans les plis du présent, hésitant entre songes et souvenirs. Approchant du dénouement de sa vie, au moment où résonnent les questions essentielles qui font le bilan d’un parcours, il traverse ses paysages intérieurs et flotte au gré des rêves à travers les époques… Il y côtoie Marie, sa compagne, tantôt jeune fille effarouchée, tantôt femme mûre, il croise le jeune homme qu’il était, retrouve des amis, des instants, se blottit dans des états d’enfance, s’égare dans quelques gouffres. Tente de rapiécer sa mémoire en lambeaux.
« J’ai grandi en Afrique, où les vieux sont considérés comme dépositaires d’un savoir précieux constitué par l’expérience. Quand je suis arrivée en France, j’ai été choquée par le regard dévalorisant porté sur les personnes âgées. Dans nos sociétés performatives, vieillir suscite de l’angoisse, voire un sentiment d’humiliation, de mise à l’écart, raconte Julie Berès, metteur en scène. En quinze ans, nous avons gagné une génération en espérance de vie. Nos mentalités et l’accompagnement de ces nouveaux vieux ne vont pas aussi vite que la science. La vieillesse est certes un âge fragile, parce qu’elle altère le corps et parfois l’esprit, mais c’est un âge à part entière, où l’on continue à désirer, à aimer, à vouloir découvrir, à s’intéresser, à être ouvert, à vouloir participer au monde. La vie est une succession de pertes depuis l’enfance… On perd son doudou, ses dents, sa maman, des objets, des portables, des amours, des amis, des boulots, des cheveux… Grandir, c’est apprendre à perdre. D’où vient que certaines personnes vivent ces pertes comme un effondrement alors que d’autres les transforment en acquisitions ? ».
Si ces interrogations puisées à même le réel trament le sens de Lendemains de fête, elles se faufilent en scène par l’imaginaire, se déclinent en fictions oniriques et fantasmagories provoquant émotions et réflexions mêlées. Julie Bérès opère en effet d’abord par « immersion documentaire » dans le champ d’investigation qu’elle a choisi d’explorer, recueille témoignages, textes et autres matériaux qu’elle expérimente en improvisations pour composer un scénario mosaïque qui joue des troubles de la perception et fait sensation. Ici la parole vive du philosophe Jankélévitch et les propos de Lacan se frottent aux visions surréalistes et réminiscences qui surgissent par éclats et fulgurances.
Pluridisciplinaire, ce théâtre procède par digressions, distorsions, associations et superpositions d’images, métamorphoses et métaphores. Il se glisse sous les apparences, par-delà les censures de la raison, là où tapagent en liberté les plus secrètes obsessions et folles extravagances. Deux acteurs de 70 ans environ (Évelyne Didi et Christian Bouillette) et trois jeunes interprètes et/ou circassiens (Julie Pilod, Matthieu Gary, Vasil Tasevski) donnent corps à l’univers mental de cet homme au seuil de la disparition. S’appuyant sur une scénographie inventive, espace de toutes les projections et illusions, Julie Berès crée avec eux une partition scénique tissée de mots, de présences, de gestes, de sons et de vidéos pour ouvrir grand l’imagination. C’est-à-dire l’intime infini.

Gwénola David

Lendemains de fête de Julie Bérès, compagnie des Cambrioleurs, du 25 février au 5 mars 2013 au Théâtre des Abbesses

http://www.theatredelaville-paris.com/spectacle-lendemainsdefetejulieberes-544

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