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Illustration 1
© Jean-Pierre Maurin

De l’éternelle Giselle, le Suédois Mats Ek a fait un étourdissant ballet contemporain.

Une drôle de fille attachée à une corde comme un chien tenu en laisse. Elle porte un béret enfoncé sur la tête, un pull trop court et une jupe transparente. Elle danse en s’explosant, déborde d’une énergie intense, vire et volte au gré de ses sautes d’humeur. Dans un immense paysage de nature proliférante, elle est Giselle, petite paysanne un brin demeurée mais follement vivante qui sème la pagaille parmi les villageois. Elle vrille aussi le coeur d’un bourgeois, qui passait par là, et qu’elle déshabille en deux temps trois mouvements. Voilà Giselle, héritière de l’héroïne romantique du ballet classique, telle qu’imaginée magnifiquement en 1982 par Mats Ek.
L’écart creusé par le chorégraphe suédois entre sa relecture et le scénario suggéré par Théophile Gautier pour le ballet chorégraphié en 1841, par Jules Perrot et Jean Coralli, maintient un taux constant d’invention et de tension. Il est précisément affûté au gré des grands chapitres et rebondissements de ce chef-d’oeuvre.


Dans le livret originel, Giselle a le coeur fragile, tombe sous le charme d’un jeune homme déguisé en villageois qui se trouve être le prince Albrecht. Elle est fiancée avec le garde-chasse Hilarion ; Albrecht, avec une autre femme de son milieu.
Chassé-croisé de l’amour mal adressé qui finit par une double trahison et une tragédie : Giselle découvre la mascarade du prince, devient folle et meurt dans les bras de sa mère. C’est là que Mats Ek donne un coup de fouet à l’histoire en prenant au pied de la lettre la folie de l’héroïne. Il l’enferme dans un hôpital psychiatrique, dont les internées ressemblent aux Willis du ballet classique, ces fantômes de jeunes filles décédées parce que trompées par leur fiancé avant leurs noces. Au romantisme de la mort, Mats Ek substitue la sauvagerie de la folie en faisant basculer Giselle dans un héroïsme sans issue.


La Giselle de Mats Ek, qui a conservé la musique du ballet historique, celle d’Adolphe Adam, peut aussi se lire comme l’histoire d’une femme libre, qui se livre tout instinct dehors à ses pulsions et envies. Reniflant le corps de celui qu’elle désire, lui mettant la main au panier, se frottant et écartant les jambes, elle paiera le prix cher de ses élans qui semblent effrayer tout le monde. Sa vitalité extrême ne peut être appelée qu’à disparaître dans une société de l’apparence et de la bonne tenue. Giselle focalise aussi la lutte des classes que Mats Ek exacerbe dans sa pièce avec la lucidité tranchante qui est la sienne. Il cogne la fille nature contre les bourgeois trop élégants et moqueurs. Il ose la crudité du corps contre la bienséance. Sexe et sentiments se trouvent alors une langue chorégraphique touffue, âpre, sans ambages.


Le parti pris de Mats Ek trouve une force d’impact imparable grâce à son écriture. Non seulement elle s’affirme comme un style en soi, immédiatement repérable avec son extension maximale des mouvements, ses grands pliés immenses, ses sauts nerveux et ses arabesques sèches, mais son abstraction ne perd jamais de vue le sens de la danse. Jusqu’aux galipettes enfantines et aux gestes familiers que Mats Ek injecte régulièrement dans son flux chorégraphique qui en disent long sur l’état psychique des personnages.
Lorsqu’on cite aujourd’hui le ballet Giselle, tout de même le plus fameux des classiques avec Le Lac des cygnes, la relecture du Suédois est immédiatement mentionnée dans la foulée, comme le double contemporain de l’oeuvre de Coralli et Perrot. Entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Lyon en 2009, cette pièce majeure a été jouée une quarantaine de fois en France et dans le monde entier.
Elle rejoint le pannel de chefs-d’oeuvre – des pièces de Merce Cunningham à celles de William Forsythe – choisis par Yorgos Loukos, directeur artistique de la troupe. Ses membres de haut niveau portent l’oeuvre de Mats Ek avec talent à un sommet d’intelligibilité et de beauté.

Jeanne Liger

Giselle, chorégraphie, Mats Ek par le Ballet de l'Opéra de Lyon du 27 décembre au 3 janvier

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