
La Sud-Africaine Robyn Orlin chorégraphie les danseurs masculins de la compagnie sénégalaise de Germaine Acogny. Une rencontre qui met en jeu une expérience possible de l’altérité.
Danse contemporaine: voilà une expression qui n’en dit pas assez. « Contemporaine » parle de temporalité – un temps en commun, notre temps –, mais ne dit mot sur l’espace. Comment traiter du temps, sans traiter de l’espace, surtout quand il s’agit de danse – l’art, par excellence, de la conjugaison poétique de ces deux paramètres ?
Ainsi parle-t-on d’une danse contemporaine africaine, en oubliant d’envisager l’espace de sa construction imaginaire. L’Afrique des motifs culturels mondialisés n’est-elle pas aussi active à New York ou à Trappes, qu’à Dakar et Johannesburg? Mobile, jamais arrêtée, reconfigurée. Ça n’est pas tout. Même à ne parler que du continent noir, géographiquement, combien de diversités resterait-il à envisager ? Il y a bien autant de distance – on parle ici de traits civilisationnels – entre un Sud-Africain et un Sénégalais qu’entre un Sicilien et un Estonien.
Des questions de ce genre viennent se bousculer sur le plateau d’At the same time…, la nouvelle pièce de Robyn Orlin. Dans les esprits, cette chorégraphe est la figure de l’artiste blanche dans l’ère post-apartheid de l’Afrique du Sud. Or, les danseurs d’At the same time… sont tout autres. Sénégalais, ils sont les éléments masculins de la Compagnie Jant-Bi, dirigée par la chorégraphe Germaine Acogny, qui en puise les effectifs parmi les meilleurs élèves formés dans son École des Sables, fondée en 1998.
Germaine Acogny et Robyn Orlin ? Voici une rencontre au sommet, entre deux univers fort distincts dans la modernité africaine. Héritière de Béjart, Germaine Acogny a fondé une visée universaliste puisant dans les traditions dansées d’Afrique de l’Ouest ; la culture magnifiée de la négritude n’en est pas loin. Dans le contexte anglo-saxon de l’Afrique du Sud, Robyn Orlin est plus proche de la performance, pour bousculer joyeusement les signes, parfois terribles, de la société post-apartheid.
Se déplaçant jusqu’à Dakar, Robyn Orlin effectue un grand déplacement à la rencontre d’artistes chorégraphiques très différents. Y a-t-il un corps africain ? L’Occident en a dressé deux gammes de clichés : soit un corps puissant, avantageux, érotisé ; soit un corps souffrant, martyrisé, frappé d’épidémie. Mais que serait, de la part des artistes africains eux-mêmes, l’invention d’une politique et d’une parole de leurs corps ? Le fléau du viol des femmes, ou une forte homophobie, sont dans la tête de la chorégraphe.
Il lui fallait écouter le vécu de ses nouveaux interprètes, capter leurs visions du monde, élaborer un langage scénique qui les révèle, et bouscule. La tradition de la danse du faux lion sera alors le déclencheur de la rencontre imaginaire. Cette danse met en jeu la bravoure de chacun. Autant dire qu’elle le ramène à l’épreuve de ses peurs enfouies. Par là s’est glissée une expérience possible de l’altérité ; dont celle des glissements dans les performances de genres.
Il n’est d’Afrique qu’en proie aux circulations contemporaines.
Gérard Mayen
«At the same time… du 5 au 29 mars au Théâtre de la Ville
& 11 et 12 avril au Centquatre-Paris