Le 28 avril 2013 disparaissait, à l’âge de 88 ans, l’un des plus éminents violoncellistes du XXe siècle, le premier pour certains et aux yeux de tous, le plus grand pédagogue : János Starker. Le Théâtre de la Ville, où il donna dix fabuleux concerts (le premier en février 1989), est heureux d’organiser, en partenariat avec et à la demande de l’Association française du violoncelle, une journée d’hommage au maître disparu.

Dans la grande salle, à 20 h, plus de 30 artistes – 24 violoncellistes, Marc Coppey, Henri Demarquette, Raphaël Pidoux, Marie-Paule Milone… et 10 autres musiciens, Gérard Caussé, Denis Pascal… – dessineront le portrait musical de János Starker, en jouant des mouvements d’oeuvres du répertoire qu’il chérissait particulièrement tandis que des photos et des extraits de films ressusciteront l’espace d’un instant l’un des plus hauts sommets de la musique.
Au Café des OEillets et à la Coupole se succéderont certains de ses brillants disciples français pour animer deux rencontres pédagogiques – l’une en direction des plus petits, l’autre pour tout public – afin de transmettre la splendeur d’un enseignement auquel l’artiste américain d’origine hongroise se consacra toute sa vie, en particulier à l’université de Bloomington dans l’Indiana.
UN MUSICIEN EXEMPLAIRE EN SOMME
Une caricature célèbre représente János Starker entouré d’un bloc de glace. Une petite phrase accompagne le dessin : « János Starker, le seul violoncelliste dont la flamme intérieure gèle l’air autour de lui. » L’auteur de cette saillie ? Starker luimême, qui ne fait que reprendre en la condensant (c’est le cas de le dire) une idée reçue. D’où vient-elle ? La réponse est simple. János Starker a le défaut de jouer juste – mais ce qui s’appelle juste. Et puis Starker a un jeu élégant. Veut-on dire par là qu’il fait de la musique un art de salon ? Non pas : il ne laisse pas voir la difficulté. Voilà tout. Sa technique est sans faille. Sa sonorité racée et sa pensée toujours haute. Certains ont comparé Claudio Arrau à Luchino Visconti. C’est à Stroheim qu’il faut alors penser si l’on songe à Starker : un professionnalisme exigeant, un métier que les années d’orchestre (Budapest, Dallas, MET, Chicago) ont affermi et toujours le refus de l’épanchement facile. Starker se contrôle et ne se répand pas. Il retranche quand d’autres ajoutent : il fait confiance à la musique, au public. Il croit en son violoncelle (un Gofriller de 1706) et ne cherche jamais à le travestir en contrebasse ou en violon tzigane. Starker est un dandy, au noble sens du mot : s’il souffre, c’est en silence. Un musicien exemplaire en somme.
Jacques Drillon (Le Nouvel Observateur),
Journal du Théâtre de la Ville, 1989
TÉMOIGNAGES DE SES DISCIPLES I EXTRAITS
János Starker était notre père, notre guide, notre exemple, notre conscience. Il sera toujours avec nous.
Gary Hoffman
C’était un extraordinaire violoncelliste, un musicien exceptionnel, un pédagogue génial et doué d’une personnalité incomparable.
Yoshiaki Tsutsumi
« Le monde est plus pauvre maintenant qu’il nous a quittés. » C’étaient les mots de János Starker lorsqu’il rendait hommage à ceux qu’ils révéraient. C’est ce que nous ressentons aujourd’hui, alors qu’il n’est plus. Pourtant, qui, dans la longue histoire de l’interprétation musicale, a laissé un héritage plus universel, de nature à inspirer et à soutenir des générations entières ? Incarné et transmis les valeurs artistiques et humaines les plus élevées : celles qui, parce qu’elles sont plus hautes que les individus, nous grandissent et nous unissent.
Marc Coppey
On ne peut mieux jouer du violoncelle que János Starker, différemment sûrement, mais pas mieux… À l’instar d’un Heifetz pour le violon, dont le niveau de virtuosité reste une référence, le jeu de János Starker était un exemple de précision, d’agilité et de finesse. János Starker ne jouait pas égoïstement « pour lui » mais pudiquement « en lui ». Cette pudeur obligeait l’auditeur à aller vers l’artiste et non l’inverse. […] Et « en lui » se trouvait un univers de passions, de douleur, d’intensité, de gravité, de violence, celui d’un homme exilé et meurtri.
Henri Demarquette
Starker était d’une générosité inégalée. Il nous parlait toujours de « sa » famille, son « gang », qu’il formait avec un extraordinaire pragmatisme ; enfant prodige, il s’était par la suite remis en question, ce qui lui donnait une farouche envie de « transmettre » son savoir avec un diagnostic à faire rager ! « Je ne veux pas vous parler de musique, d’interprétation, mais plutôt vous donner les moyens techniques et physiques d’y parvenir vous-mêmes… » Quelle belle leçon d’autonomie et d’humilité.
Raphaël Pidoux, Niigata, Japon, 28 avril 2013
János Starker a mené à un niveau d’exception une carrière de soliste international et d’enseignant. Il fut le tout premier soliste pédagogue de l’histoire des grands interprètes du XXe siècle. Au sein de sa classe existait une communauté réelle de pensée, des relations extrêmement chaleureuses avec tous ses étudiants, tous également respectés, pour la défense d’une certaine idée de la musique et du rôle important de sa diffusion pour notre société. Violoncellistes, pianistes, violonistes, chanteurs, tous les étudiants qui sont passés par le studio 155 font à jamais partie de cette famille qui le pleure aujourd’hui.
Marie-Paule Milone
Une rigueur et une fermeté exemplaires, teintées par un humour désarmant. Viviane Spanoghe, Bruxelles, 18 juin 2013 Il nous a fait partager cet amour de la transmission, cette quête de la perfection d’une manière universelle. Odile Gabrielli
Il était pudique et digne. Le son qui sortait de son violoncelle était tendre et chaleureux. C’était une voix.
Édouard Sapey-Triomphe
LA PLACE DE STARKER
« Le musicien qui, selon Parisot*, a fait avancer, plus loin même que Feuermann, le jeu du violoncelle, est Starker. Personne ne peut prétendre écrire l’histoire du jeu du violoncelle sans lui consacrer 50 pages. Tandis que Feuermann conduisit la technique du violoncelle au point où cet instrument put rivaliser avec le violon en agilité et en aisance, il négligea un peu l’intonation. La justesse de Starker est irréprochable et ses interprétations ont parfois plus de maturité. Un assistant de Feuermann m’a dit que le fameux enregistrement de la Sonate Arpeggione de Schubert exigea 18 prises. Avec Starker cela ne se produirait pas : il entre dans le studio et, à la première prise, c’est déjà techniquement parfait. S’il demande d’autres prises c’est pour des raisons musicales. Bien que j’admire beaucoup de professeurs de violoncelle aujourd’hui, je considère que Starker est le plus grand du siècle. »
The Strad, nov. 85
* Grand violoncelliste brésilien, créateur de nombreuses partitions contemporaines