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À partir du film de Fassbinder, Thomas Ostermeier porte sur scène l’épopée d’une femme qui se cherche, au coeur d’un monde qui ne sait plus vivre que l’instant.
Années 1950, Berlin-Ouest. Semi-ville encastrée dans la RDA. Modèle des libertés capitalistes sous la coupe des Alliés. C’est là que vit Maria Braun. Sa vie, elle l’assure en tant qu’entraîneuse dans un bar pour Américains. Une nuit, presque par inadvertance, elle tue un client. Elle s’est crue veuve, mais revenu du front, son mari s’accuse du meurtre. Comme leur mariage, leurs retrouvailles ont duré deux jours. Et la vie continue.
Pour lui, en prison. Pour elle, dans le désir de laisser le passé derrière, de foncer à la recherche d’elle-même et de sa liberté, de se faire entendre, reconnaître.
Le film de Fassbinder est sorti en 1979. Il l’a directement écrit pour le cinéma sans passer par le théâtre, comme il l’a souvent fait auparavant – notamment avec Les Larmes amères de Petra von Kant (1971), autre portrait d’une femme en quête d’identité, de liberté. C’est donc Thomas Ostermeier qui conduit Maria Braun sur scène. Qui d’autre pouvait le faire ? Il l’a « rencontrée » en 2007 et depuis ne peut la quitter. Même si, né en 1968, il n’a vécu ni le nazisme ni les années 1950, même s’il n’avait que onze ans en 1979, il reconnaît chez Fassbinder sa propre vision du monde, des groupes humains. Des individus sur lesquels, avec la même ironie complice, il porte le même regard acéré.
Certes le temps a passé, l’Allemagne a retrouvé son unité, sa place en Europe et dans le monde. Les circonstances évoluent, mais ce qui fait courir l’humanité, encore et toujours, demeure, au prix des pires aveuglements et renoncements, le besoin de certitudes et de confort immédiat. Demeure également la difficulté, en particulier pour les femmes, d’être soi, de se faire reconnaître, entendre.
C’est ce que pointe Ostermeier, ici comme à travers Un ennemi du peuple ou Une maison de poupée d’Ibsen… Entre bien d’autres. Splendidement belle, inquiétante et attachante, sa Maria Braun affronte un monde survolté, peuplé d’individus interchangeables : quatre acteurs, qui prennent en charge l’ensemble des personnages, féminins autant que masculins. Il leur suffit de changer, à vue, un pan de leur costume, de s’affubler d’une perruque… Eux, comme elle, sont époustouflants, alors tout devient d’une vérité troublante.
Ostermeier ne « modernise » pas, il juxtapose les époques. D’abord et avant tout, il y a le présent du théâtre. Et puis des accessoires datés, quelques images d’archive qui parcourent le temps. Il ne « cite » pas le film de Fassbinder. À sa manière, il en transmet la lucidité et les interrogations, indispensables, aujourd’hui peut-être plus encore qu’hier.
Colette Godard
Le Mariage de Maria Braun du 25 juin au 3 juillet

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