Plan sur plan, redoublant verticalement le recommencement de la danse, Lucinda Childs crée dans AVAILABLE LIGHT « un territoire infiniment vaste ».
« J’aime doubler, c’est une question d’espace, tout l’espace est important. Il s’agit de l’intensité de la relation, une sorte d’intimité de l’intensité. » 1 Dans cette confidence de Lucinda Childs, en quelques mots, beaucoup est dit de la prégnance que dégage AVAILABLE LIGHT, une pièce quasiment légendaire tant elle a marqué à sa création, en 1983, les rares spectateurs qui purent en être les témoins, le dispositif scénographique n’ayant guère facilité sa diffusion 2. « Doubler », dit donc Lucinda Childs : pour Dance, créé en 1979 et présenté l’an passé au Théâtre de la Ville lors du Festival d’Automne à Paris, ce redoublement de la danse était opéré grâce à la projection d’un film de Sol LeWitt sur un tulle translucide couvrant tout le cadre de scène. Impression de relief, profondeur de la surface. Pour AVAILABLE LIGHT, l’architecte Frank Gehry a proposé une sorte de plateforme à deux niveaux, et c’est dans cette superposition, plan sur plan, que se donne à voir la mathématique stellaire de la danse de Lucinda Childs, tout en répétitions et variations, dans l’infini recommencement de chaque instant. Bien sûr, il y a la musique : une somptueuse partition symphonique de John Adams, Light Over Water. Bien sûr, il y a la lumière : à la création, le Musée d’art contemporain de Los Angeles avait mis à disposition un espace à mi-chemin entre l’entrepôt et la scène, qui laissait filtrer la lumière extérieure. Mais c’est bien cette « simple » (si l’on peut dire) superposition des sols, dans un seul et même cadre, qui crée cette « intimité de l’intensité » qu’évoque Lucinda Childs. Cela se perçoit, procure une étrange jubilation. Doit-on l’expliquer? Peut-être pas. Ou alors, en se contentant de citer ces mots de Susan Sontag : « Aussi vaste qu’elle soit, la scène ne l’est jamais assez. Les chorégraphies de Lucinda Childs projettent sur la scène finie un espace ou un territoire infiniment vaste » 3. Et, pourraiton ajouter, infiniment vaste et généreux pour mystérieusement accueillir le désir d’espace de tout un chacun.
JEAN-MARC ADOLPHE
1 Propos recueillis par Corinne Rondeau, Lucinda Childs. Temps/danse. Éditions du Centre National de la Danse, 2013.
2 En France, une version de plein air fut présentée en juillet 1983 au Festival de Châteauvallon. Le festival Klapstuk à Louvain, le Southbank Centre à Londres furent les seules occasions de voir la pièce avec la scénographie de Frank Gehry en Europe.
3 Susan Sontag, Abécédaire pour AVAILABLE LIGHT, in Temps forts, Paris, Christian Bourgois, 2005.
AVAILABLE LIGHT, Lucinda Childs Dance Company du 30 oct. au 7 nov.