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POUR LA PREMIÈRE FOIS, TU TE SAISIS D’UNE OEUVRE LITTÉRAIRE, L’ÉTRANGER, POUR ENTRETENIR UN RAPPORT TRÈS PERSONNEL SUR LA SCÈNE AVEC CELLE-CI ET SON AUTEUR. QUEL EST DONC TON LIEN À CE LIVRE, À CETTE PENSÉE?
JEAN-CLAUDE GALLOTTA: La pensée de Camus, qui exprime bien le tiraillement entre, je dirais, « l’honnêteté humaniste » et les exigences du combat politique, m’a toujours paru essentielle. Elle est ainsi très proche de nous. Ce n’est pas une pensée qui fait peur. Si elle impressionne, c’est par sa clarté. Il y a peu d’oeuvres qui vous accompagnent comme cela tout au long de la vie. Elle est pour moi ce que Valéry appelait une « philosophie portative ».
COMMENT, ET POURQUOI, AS-TU ÉPROUVÉ AUJOURD’HUI LA NÉCESSITÉ DE FAIRE ENTRER EN CONTACT CE ROMAN ET TA DANSE?
J.-C. G.: Il arrive parfois qu’un projet trouve son origine dans les aléas de la vie de la compagnie. Cette saison, entre les différentes tournées, nos trois danseurs permanents (Ximena Figueroa, Thierry Verger, Béatrice Warrand) avaient des moments de liberté. J’avais très envie de faire quelque chose avec eux trois, qui m’accompagnent depuis si longtemps. Et puis, suite au décès de ma mère, en rangeant des papiers, j’ai retrouvé des archives qui concernaient la vie de mes parents en Algérie, la jeunesse de ma mère à Oran. J’ai repensé au livre de Camus et au film que Visconti a réalisé à partir de L’Étranger. J’ai vu là l’occasion d’écrire un spectacle intime, de voir comment de l’écriture littéraire peut provoquer du mouvement dans les corps. Je l’avais déjà fait, avec tes propres textes, dans Blik autour de soi et dans les Chroniques. Et je voudrais continuer. J’aime de plus en plus cultiver et travailler cette curieuse alchimie entre littérature et danse. En relisant L’Étranger, je me suis rendu compte du plaisir que j’avais à offrir une traduction physique aux mots de Camus.
LE SPECTACLE EST COMPOSÉ ÉGALEMENT DE PROJECTIONS DE FILMS, DE SIMPLES IMAGES OU D’EXTRAITS DU ROMAN LUS EN VOIX OFF. QUEL EST LE RÔLE DE CES IMAGES PROJETÉES?
J.-C. G.: Ce sont des objets décalés, poétiques, détournés, qui sont nés de ma lecture du livre. C’est mon « journal d’images », des fils invisibles et imprévisibles qui se tendent entre ma lecture et mon imaginaire, nourri aussi bien d’un bout de film de famille que d’une séquence d’un film de Tarkovski ou de Fellini. Je veux également montrer que toute séquence, quel que soit le film auquel elle appartient, est obligatoirement transfigurée – et peut donc être relue différemment – par le simple fait d’être située dans un autre contexte.
ON A SOUVENT DIT QUE TON TRAVAIL OSCILLAIT ENTRE ABSTRACTION ET FIGURATION. PLUS PRÉCISÉMENT, NE POURRAIT-ON PAS DIRE QU’IL BALANCE DE PLUS EN PLUS ENTRE ABSTRACTION ET AUTOBIOGRAPHIE?
J.-C. G.: S’il est vrai que j’ai toujours emprunté à ma propre vie, au départ ça ne se voyait pas, ça ne se savait pas. Depuis quelque temps, l’emprunt autobiographique est plus évident, à la fois par les thèmes que je traite chorégraphiquement et par les textes et les images que j’introduis. C’était déjà le cas dans Racheter la mort des gestes où je parlais très directement d’événements de ma vie ou de ma ville. Peut-être la mort récente de ma mère m’a conduit sur ce chemin-là, de l’intime.
Extraits de propos recueillis par Claude-Henri Buffard, dramaturge
L’Etranger de Jean-Claude Gallotta aux Abbesses du 23 février au 5 mars