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gérard jacquemin

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Sterne © 

J'évoquais dans cet article du 15 avril  dernier, ma lecture de cette épopée "Shandienne" de Laurence Sterne "La vie et les opinions de Tristram Shandy". Mon premier billet n'avait évoqué que le premier tiers du livre car depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et les digressions du Sieur Tristram, narrateur atypique s'il en est  puisqu'il raconte sa propre naissance par le détail, émaillent sans discontinuer une chronique détaillée, discursive, touffue et souvent loufoque.
J'en suis arrivé au volume VI, après être passé par les longs palabres du père de Tristram avec son frère, l'oncle Tobie et son valet le Caporal l'astiqué. Ces deux derniers passant leurs loisirs à reconstituer grandeur nature le décor de la mémorable bataille de Namur à laquelle ils participèrent tous les deux. Les angoisses existentielles du père au sujet du prénom, de la forme du nez et de l'intelligence du rejeton à venir nous tiennent dans une semi-hilarité permanente.  Le récit est essentiellement centré sur les hommes. La mère de Tristram étant en train d'accoucher, elle n'a pas droit au chapitre et  les quelques domestiques qui traversent les salons sont parfois mêlés aux intrigues de couloir et aux sursauts du récit de l'accouchement. Il est vrai que l'histoire se déroule au XVIIIème siècle dans la bonne société anglaise, ceci expliquant cela. Néanmoins la modernité du récit tient au fait que sont évoqués toutes sortes d'avis et d'opinions sur la sexualité, la contraception, l'éducation, la mort, le plus souvent en termes retenus et parfois tellement sous entendus que les mots sont remplacés par des astérisques…à interpréter au bon désir du lecteur.
Sous ses aspects futiles, le récit n'en est pas moins étoffé de référence à Rabelais et à Locke entre autres, et de nombreux renvois aux notes de fin d'ouvrage éclairent sur les références de Monsieur Sterne et sur les turpitudes de la bonne société anglaises de l'époque.
Lorsque parvenu à la fin du volume V j'entamais le volume VI, telle ne fut pas ma surprise d'être à nouveau interpellé par l'auteur en ces termes:
"Nous n'aurons pas deux minutes d'arrêt mon bon monsieur- mais comme nous voici maintenant avec nos cinq volumes derrière nous (je vous en prie, Monsieur, asseyez vous sur cette pile- c'est mieux que pas de siège du tout) jetons tout de même un simple petit coup d'oeil en arrière sur le pays que nous avons traversé. Quelle contrée sauvage! et quelle chance nous avons eu de ne point nous y égarer ou de ne point nous y faire dévorer par les bêtes féroces!"
Il serait vain de vouloir résumer cet énorme foisonnement littéraire qui occupera vos insomnies beaucoup mieux que n'importe quel somnifère. Des mots inventés de toutes pièces dignes de l'Oulipo, des scènes d'une cocasserie sans limite comme celle où le jeune Tristram encore enfant se faisant langer par sa nounou, s'approche trop prêt d'une fenêtre à guillotine dont l'arrêt de zinc a été dérobé par le Caporal l'astiqué afin  de réaliser une pièce d'artillerie pour le fameux diorama grandeur nature, la dite fenêtre à guillotine se ferme brutalement sur le zizi de l'enfant et le circoncit tout de go.
Bref, c'est un réel plaisir de lire cette littérature ancienne, un peu ampoulée (mais on s'y fait très vite), totalement à contre courant des modes littéraires de notre époque. La lecture de ce pavé de plus de 900 pages pouvant très bien s'interrompre momentanément pour lire quelque roman express qui aurait attiré votre curiosité. Ce que je fis l'autre jour lorsque que je tombais par hasard sur "Pétronille" d'Amélie Nothomb qui pourrait être l'antithèse par excellence de "La vie et les opinions de Tristram Shandy", tant par sa futilité que par sa brièveté insipide.

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