Cédric Lépine : Qu'est-ce qui a été le déclencheur de ce désir de raconter cette histoire sur plusieurs décennies du XXe siècle ?
Daniel Desmaison : Après plus de 35 années de travail dans une compagnie aérienne, j’en avais assez d’entendre dire « ah vous travaillez à Air France, vous êtes pilote ? »
J’avais envie d’écrire une histoire, pour tenter de faire comprendre qu’il n’y a pas que les pilotes qui font voler les avions. Et puis je me suis laissé prendre au jeu et mon histoire a largement dépassé le cadre prévu à l’origine. En particulier, toute la période de l’entre-deux guerres est intéressante et dépasse largement le cadre de l’aéronautique. Cent ans après, on porte encore le poids de la scission de la SFIO par exemple. Les luttes ouvrières m’intéressent, mais aussi l’abandon de la terre et la désertification des campagnes, qui se poursuit encore aujourd’hui et qui est au cœur de mon récit.
C. L. : Que symbolise pour vous l'histoire de l'aviation ?
D. D. : Une partie de ma vie. Mon père et mon beau-père y ont travaillé toute leur vie, moi aussi. On peut dire qu’Air France m’a nourri depuis le jour de ma naissance. Et j’ai rencontré mon épouse au travail, à Air France également.
Je pense que c’était une belle aventure humaine. Et je suis persuadé qu’il en reste quelque chose encore aujourd’hui.
C’est peut-être une des dernières frontières, le vieux rêve d’Icare devenu réalité.
C. L. : Quelles ont été vos sources historiques pour développer cette histoire avec autant de précision ?
D. D. : Quelques livres autobiographiques, Paul Codos, Amélia Earhart, Mermoz, et puis Internet, bien sûr, qui est une source inépuisable d’informations, quand on sait comment les chercher. Un exemple : on trouve sur Internet les carnets de vol de Paul Codos qui ont été scannés. L’histoire de Jules Védrine m’a particulièrement intéressé : c’est un personnage hors du commun. C’est lui qui s’est posé sur le toit des Galeries Lafayette par exemple. Toute son histoire est sur Wikipédia. Cette encyclopédie en ligne est irremplaçable. Cela permet de conserver le maximum de rigueur historique dans un récit romancé.
Savez-vous qu’aux États-Unis quelques petites entreprises fabriquent encore des répliques à l’identique du moteur Gnome de 1905 ? Ils permettent de motoriser les répliques d’avions de l’époque. Cette histoire est bien vivante.
C. L. : Qu'est-ce que le récit de fiction permet ici par rapport à une approche documentaire historique ?
D. D. : Le récit de fiction permet de rendre accessible au plus grand nombre une aventure historique. L’approche documentaire forcément plus complète est aussi plus aride et de ce fait réservée à quelques passionnés. La fiction n’exclue d’ailleurs pas la rigueur historique, qui me paraît nécessaire. Elle permet de rendre le récit plus vivant, plus intéressant. Elle permet aussi de créer des digressions, d’aborder une multitude de sujets, autres que le sujet principal.
C. L. : Aviez-vous des influences de récits en tête en écrivant cet ouvrage en deux tomes, qu'il s'agisse de livres ou de films ?
D. D. : Pas vraiment. Toutefois un de mes personnages, le père Florent, est directement issu du roman Le Canon Fraternité de Jean-Pierre Chabrol.
Et puis, comment ne pas penser à Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines, La Grande illusion ou bien dans un domaine différent La Bataille du rail sur la Résistance.
C. L. : Quelle part autobiographique pourrait-on trouver dans les éléments de fiction du récit ?
D. D. : En ce qui me concerne, je n’en vois pas. J’ai eu une carrière commerciale, qui n’a rien à voir avec celle de mon personnage. En y réfléchissant après coup, j’ai réalisé qu’il y a certainement quelque chose de mon père dans le personnage de Félix. Et ce dernier a bien dû prendre quelques traits de mon caractère.
C. L. : Par rapport aux promesses des débuts de l'aventure de l'aviation en France, comment se porte ce secteur à notre époque selon vous ?
D. D. : Le rêve de Félix s’est réalisé, les avions d’aujourd’hui sont plus sûrs, volent plus loin et plus longtemps, ont moins besoin de maintenance. Les enjeux se sont déplacés. À l’époque des pionniers, on n’avait pas à se poser de questions sur la pollution, sur le risque lié au sur-tourisme de masse, par exemple. Tout est à réinventer. Le transport aérien s’est imposé comme une nécessité, il faut maintenant faire en sorte de le conjuguer avec les enjeux du monde contemporain.
C. L. : Pourquoi avoir fait intervenir autant de figures historiques précises dans le récit en interaction avec le protagoniste Félix ?
D. D. : Parce qu’ils sont là tout simplement, ces pionniers de l’aviation et quelques autres que je n’évoque pas, sont incontournables. Et puis, les montrer entourés d’inconnus sans lesquels ils n’auraient pas pu accomplir leurs exploits, allait dans le sens de ma démonstration.
Pour les autres, ils se sont invités dans le récit, tout simplement. Ils se sont, en quelque sorte, imposés à moi. Et je les ai vus arriver avec surprise et délectation. Pour moi, le vrai plaisir de l’écriture est là.
C. L. : Quels sont vos actuels désirs d'écriture et de recherches pour comprendre le monde actuel ?
D. D. : J’ai écrit et publié un deuxième roman, qui n’a rien à voir avec le premier, si ce n’est que je fais parler un soldat de 1914 qui décrit l’horreur que lui inspire cette guerre et qui disparaît mystérieusement après-guerre.
Et je suis en train d’en rédiger un nouveau, mais il est un peu tôt pour en parler.
Agrandissement : Illustration 2
À l'ombre des étoiles
de Daniel Desmaison
Ouvrage en deux tomes
Date de sortie (France) : 1er janvier 2018
Éditeur : auto-édition