La révélation par Jean-Pierre Thibaudat de l’existence de manuscrits cachés de Céline m’a amené à relire Le Voyage et Mort à Crédit. Personnellement cela m’a montré que je ne suis plus tout à fait le même qu’à vingt ans ni tout à fait un autre. J’avais oublié beaucoup de péripéties de cette excursion littéraire, l’air de la chanson m’était bien resté en tête, mais pas seulement, la langue et l’esprit antimilitariste aussi. Par contre jeune mâle écervelé j’avais gommé tous les passages sur les avortements.
Sachant, comme le dit si bien un certain Destouches, que « demain ce ne sera plus rien, demain l’audace bruyante, vite épuisée, ne sera plus d’aucun prix », je ne suis jamais allé plus loin, et je pense que j’ai bien fait, dans la production célinienne. Peut-on parler d’oeuvre célinienne tant sont devenus abjects l’auteur et sa prose ?
Par la grâce donc de Thibaudat je me suis ré-intéressé à Louis-Ferdinand et j’ai lu Semmelweis, édition Gallimard, collection L’Imaginaire, qui en attribue la paternité à Céline alors qu’il s’agit d’une thèse de médecine, datant de 1924, signée, et cela figure dans le l’édition d’août 2021 que je possède, par Louis Destouches. Usurpation d’identité !
Je l’ai dit plus haut, à la façon de Verlaine, je ne suis plus le même ni tout à fait un autre et Louis Destouches lui aussi s’est mué en Louis-Ferdinand Céline, puis la postérité en a fait Céline tout court, outrage ultime fait à la mère de sa mère dont c’était le prénom.
Je pense que Céline la grand-mère, Marguerite la mère, toutes les parturientes martyrisées, toutes les femmes lui sont reconnaissantes d’avoir honoré le médecin hongrois trop tard écouté.
Voici à nouveau texte que j’ai publié hier que j’ai donc improprement attribué à Céline qui conclut l’édition « contractée » de la thèse de Destouches sous le titre « Les derniers jours de Semmelweis » :
"Temps farouches du passé, temps guerriers, temps fragiles au fond comme tout ce qui est masculin. Aussi longtemps que la force physique permit tous les exploits, tant que le muscle fut l’instrument même de la puissance, la virilité resta la base de nos sociétés mais, aujourd’hui, la force physique c’est peu de chose. Demain ce ne sera plus rien, demain l’audace bruyante, vite épuisée, ne sera plus d’aucun prix, il faudra pour être vraiment fort respecter la vie, et c’est, en réalité, le propre des médecins et surtout la qualité majeure des femmes qui anticipent dans le monde actuel les destinées de l’avenir. Le génie mâle, en vérité, a réalisé d’admirables constructions logiques et mécaniques, mais n’a-t-il pas détruit dans le domaine de l’idéal et ne menace-t-il pas de détruire aussi son propre royaume de matière ? C’est une triste infirmité de sa verve féroce, de son génie impur qui ne peut se passer de conquêtes bruyantes, de panache et de feu. Regardez autour de nous, aujourd’hui, sur tous les points du globe, l’idole mâle est au dessous de sa tâche. Il s’implore lui même et ne peut plus...Il a trop détruit. On commence à ne plus croire à son ingéniosité, il se prend à douter de lui-même. A force de secouer ses plumes, de les trouver admirables, il s’était cru tout permis ; demain il sera ridicule.
Alors les femmes, patientes, plus subtiles, moins logiques, plus mystiques, en somme plus vivantes, sortiront du silence et nous conduiront à leur tour avec plus de bonheur, peut-être, sur un autre chemin. Nous les suivrons, rétifs seulement pour la forme, dociles, au fond, car nous savons bien que nous n’avons plus rien à dire et que notre système d’hostilité est sans issue."
