Billet de blog 6 octobre 2025

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Camille de Decker "C’est pas du féminisme, c’est du bon sens"

Camille de Decker est la fondatrice d'une nouvelle édition Beta Publisher créée en 2016. Elle est également autrice et son dernier ouvrage en date s'intitule "C’est pas du féminisme, c’est du bon sens".

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Illustration 1
Camille de Decker © DR

Cédric Lépine : Pouvez rappeler le contexte de la création de votre maison d'édition ?

Camille de Decker : En fait, je n’ai pas créé la maison d’édition parce que j’avais absolument envie de « faire des livres », mais plutôt parce que je ressentais un vrai manque dans mon parcours pro. Comme je viens d’une famille d’entrepreneurs, je savais un peu à quoi m’attendre en lançant une boîte. Quand je me suis intéressée à l’édition, j’ai trouvé ça hyper opaque, alors je me suis dit : “Ok, je vais faire à ma manière.”
J’ai fait pas mal d’erreurs au début, mais ça m’a permis de construire la maison comme elle est aujourd’hui : transparente, que ce soit dans notre façon de travailler ou dans notre rapport avec les auteurs et les lecteurs. J’aime bien désopacifier ce milieu-là.
Et puis j’ai aussi ce côté un peu geek, moderne. Du coup, on aime bien tester d’autres formats : par exemple, certains de nos polars ont des QR codes qui renvoient vers des vidéos, des audios, des dossiers secrets… On aime bien cette casquette un peu technophile.

C. L. : Quelle est cette éthique qui vous tient à cœur dans cette maison d'édition ?

C. D. C. : Pour moi, l’éthique de la maison repose d’abord sur la transparence. La plupart des gens ne savent pas du tout comment un livre arrive en librairie, et j’ai envie d’expliquer ce processus.
Ensuite, il y a l’éthique écologique : nous, on imprime à la demande. Pas de gros tirages pour en détruire la moitié derrière. Chez nous, pas de pilon, jamais. Quand on a quelques exemplaires en trop, on préfère les donner à des associations.
Et enfin, il y a l’éthique contractuelle. Je parle beaucoup des contrats, des clauses qu’on choisit de garder ou pas, et surtout pourquoi. C’est une manière d’être honnête et claire avec nos auteurs.

C. L. : Quelle est votre ligne éditoriale, quels sont les sujets qui vous intéressent ?

C. D. C. : Au départ, on voulait juste publier des romans… ce qui est très large ! Du coup, on fait un peu de tout : polar, fantasy, romance, thriller, historique, dystopie… vraiment tous les genres.
Petit à petit, cette diversité nous a amenés à réfléchir aussi sur la représentation des personnages, sur les thèmes. Et c’est comme ça qu’est née la collection À Sexe Égal, entièrement dédiée au féminisme. Là, on publie des guides, des essais, des témoignages, de la SF… tant que le féminisme est au cœur, ça a sa place.

C. L. : Quel est votre rapport à l'écriture ?

C. D. C. : Avant C’est pas du féminisme, c’est du bon sens, j’écrivais plutôt du polar et de la romance. Rien à voir, donc. Mais en travaillant sur la collection féministe, j’ai eu envie de me plonger moi aussi dans ce sujet.

C. L. : Pouvez rappeler aussi le contexte social de la France qui vous amène aussi à écrire ce livre ?

C. D. C. : Au départ, le livre est venu d’un besoin perso. Mon père est né en 1945, il n’est pas du tout féministe, et on a eu énormément de discussions. C’est quelqu’un qui adore les punchlines… et moi j’avais envie d’y répondre avec des arguments, des chiffres, des études.
Puis en écrivant, je me suis aussi confrontée au contexte social actuel. Sur Instagram, par exemple, on voit une vraie montée des discours masculinistes. Et je me suis dit : il faut continuer à écrire sur le féminisme, mais de façon accessible, pédagogique, pour casser l’idée que c’est extrême. Le féminisme, c’est juste du bon sens.

C. L. : Quelle a été votre recherche pour écrire ce livre ?

C. D C. : Je me suis appuyée sur plein de sources : des études de l’INSEE, du CNRS, des ouvrages plus costauds, des articles, des interviews, et aussi beaucoup de témoignages sur les réseaux sociaux. Et puis il y a ce que j’ai entendu directement autour de moi : des proches qui ont subi des remarques sexistes ou des violences. Bref, j’ai croisé toutes ces sources.

C. L. : Pourquoi avoir choisi l'humour pour mettre en scène des situations grotesques ?

C. D. C. : Parce que c’est ma personnalité. Je ne pourrais pas aborder le sujet de façon froide. L’humour, c’est un super levier pour ouvrir la discussion, pour détendre et lancer un vrai échange. L’idée n’était pas de juger ou de convaincre à tout prix, mais d’amener les sujets de façon plus légère.

C. L. : Sentez-vous aussi que le constat que vous faites est un portrait global de la France d'aujourd'hui ?

C. D. C. : Je n’ai pas la prétention de faire un portrait de toute la France. C’est un livre qui reflète surtout mon vécu, mon ressenti, une France citadine. Je m’inscris dans un féminisme inclusif : je ne renie pas les combats du passé, mais aujourd’hui le vrai enjeu, c’est de s’attaquer au système patriarcal. Et ce système, il enferme les femmes, mais aussi beaucoup d’hommes dans des schémas toxiques.

C. L. : Comment voyez-vous le dialogue entre l'essai et le roman ?

C. D. C. : PPour moi, l’essai, c’est comme un terrain de jeu intellectuel. On prend un sujet, on le décortique. Mais ça reste figé dans le temps, parce que les chiffres évoluent, le contexte change. Alors que la fiction, elle, peut aborder un sujet et le rendre intemporel.

C. L. : En écrivant ce livre, vous avez pensé à un lectorat en particulier à un public, en dehors de votre père ?

C. D. C. : Honnêtement, je n’ai pas pensé à un public précis en écrivant. Quand j’écris pour d’autres, en tant qu’éditrice, oui, mais pour moi, non. Je l’ai écrit pour moi, d’abord. Après, en salons, j’ai vu le public se dessiner : surtout des femmes, soit très jeunes, soit autour de la cinquantaine. Ce que j’adore, c’est quand des hommes s’arrêtent aussi pour discuter. Là, c’est hyper enrichissant.

C. L. : L'idée de déconstruire la masculinité, notamment la masculinité toxique, auprès d'un lectorat adolescent masculin, vous intéressait ?

C. D. C. : Oui, c’est un public essentiel. Mais je ne pense pas que le livre soit leur médium de prédilection. Les ados garçons sont beaucoup plus sur d’autres supports. Si on veut déconstruire avec eux, c’est sur ces terrains-là qu’il faut aller : les réseaux, la vidéo, le podcast. Même si j’imagine qu’une copine peut offrir le livre à son copain et lancer le débat comme ça.

C. L. : Dans le choix des romans que vous éditez d'autres auteurs.trices, que faites-vous avec des textes qui font la promotion de la masculinité toxique ?

C. D. C. : On en reçoit, oui. Quand les auteurs sont ouverts à la discussion, on en parle avec eux. Sinon, on refuse tout simplement. Ça ne colle pas du tout avec notre ligne éditoriale.

C. L. : Quels seraient vos derniers mots pour défendre votre livre ?

C. D. C. : Si je devais défendre une chose, c’est vraiment de déconstruire le mot “féminisme”. Aujourd’hui, il fait peur, il est mal compris, même par certaines femmes. Alors qu’en réalité, ça veut juste dire égalité. Ce n’est pas une guerre des sexes, ce n’est pas contre les hommes.
Si je devais résumer en une phrase : le féminisme, ce n’est pas un gros mot, c’est juste du bon sens.

Illustration 2

C’est pas du féminisme, c’est du bon sens
de Camille de Decker

Nombre de pages : 128
Format : 13,50 x 21,50 cm
Date de sortie (France) : 23 mai 2025
Éditeur : Beta Publisher
Collection : À Sexe Égal

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