L'Inde, ce pays qui abrite aujourd'hui presque autant d'habitants que la Chine (à savoir un peu plus d'un tiers pour ces deux pays réunis) dans un territoire environ 3 fois moindre en superficie, me reste assez peu accessible. Une présence quasi inexistante dans nos livres d'Histoire, en dehors des périodes préhistoriques, peu d'échos dans les média en dehors des relations avec le Royaume-Uni. Le système de caste qui régit les différentes ethnies/groupes d'intérêt ainsi que le nombre de langues différentes parlées à travers le pays me paraît de prime abord hermétique. Vikas Swarup offre un instantané de la société indienne en même temps qu'un bon roman à suspense.

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Meurtre dans un jardin indien a pour principale qualité, selon moi, l'écriture de ses personnages. Ils sont habités d'une vie intense qui soutient le dynamisme tarantinesque de ce roman, imposant feuilleté composé de chapitres de la vie de chacun d'eux. Ils sont également bien distincts par leurs appartenances et origines ethniques, mais nous sont tous présentés dès le départ comme suspects principaux du meurtre d'une personnalité publique peu recommandable.
S'il est une chose qui apparaît très clairement dans ce roman, c'est la corruption à peine déguisée qui fait rage dans le système politique (et judiciaire) indien. Le ministre de l'Intérieur de l'Uttar Pradesh (Etat du Nord de l'Inde) et également père de Vicky Rai (l'assassiné) est même présenté dès le départ comme issu des milieux mafieux. Les autres dignitaires ne sont pas en reste et pratiquent à loisir le clientélisme et les dessous-de-table. La situation de départ du roman est même causée par cette corruption, une bonne partie de la population considérant que les non-lieux et acquittements à l'égard de Vicky Rai dans des affaires d'homicide sont des jugements frauduleux et inacceptables, trahissant une justice pas du tout aveugle au montant du compte en banque.
Les autres personnages, ceux que l'on suit à tour de rôle au long du roman, présentent à travers leurs histoires différentes facettes de l'Inde. L'un d'eux est un indigène des îles Andaman (que je ne connaissais pas), membre de l'ethnie Onge. Ces femmes et hommes de peau noire, vivent au rythme de leurs traditions dans un espace plus ou moins préservé. Ce jeune homme d'abord brûlant du désir de découvrir la civilisation n'aura vite de cesse que de rejoindre son foyer. On voit à travers lui le mépris réservé aux insulaires, on le confond d'ailleurs systématiquement avec une autre ethnie, qualifiée généralement de terroriste.

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D'autres personnages sont issus des quartiers défavorisés, à la merci des réseaux criminels, d'ailleurs souvent liés aux instances politiques de la région, et frappés par la discrimination liée à leur condition ou à leur caste. Ils n'ont souvent pas de voie exemplaire pour se sortir de la misère et doivent en passer par des entreprises plus ou moins douteuses. L'une d'elles va en passer par le chantage et l'usurpation d'identité, un autre en volant un téléphone qui le mènera à bien plus. On retrouve aussi les mêmes travers que chez nous autres occidentaux, à savoir un sexisme fringant porté par une société paternaliste à souhait, un monde des affaires ne reculant devant aucune bassesse ni aucun coût humain pour obtenir plus de profits, une industrie culturelle qui protège les intérêts de ses membres les moins recommandables etc... Les mêmes causes menant aux mêmes effets, on peut espérer que la population indienne, comme dans ce roman, proteste vigoureusement contre le traitement de faveur qui est offert à leurs "élites" au détriment de leurs propres conditions d'existence.
Les références : Meurtre dans un jardin indien de Vikas Swarup, édité par Belfond, également disponible en poche aux éditions 10/18.