Billet de blog 9 septembre 2025

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Ava Cahen autour de son livre "Nos premiers films. Conversations"

Déléguée générale de la Semaine de la Critique (sélection mettant en valeur les premiers et seconds longs métrages) au festival de Cannes depuis août 2021, Ava Cahen s'est entretenue avec les cinéastes et leurs producteurs.trices autour de l'expérience d'un premier long métrage nourrie d'incertitudes et de doutes aboutissant à des œuvres novatrices consacrées par la critique.

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Ava Cahen © DR

Cédric Lépine : Est-ce que la diversité des profils cinématographiques de cinéastes atypiques dont une grande partie n'a pas été initialement formée au cinéma t'intéressait dans le choix de ces duos de cinéastes-producteurs-trices ?

Ava Cahen : Ça me paraissait aller de soi de réunir dans le livre des profils, des parcours et des expériences variés, pour rendre compte d’une réalité globale. Les cinéastes et producteur.ice.s que j’interviewe dans le livre n’ont pas tous un parcours « conventionnel ». Je veux dire par là qu’ils n’ont pas forcément tous fait une école de cinéma, mais, finalement, ils ont fait des choix de vie et de carrière qui les ont amenés vers le cinéma. Pour Céline Devaux, la réalisatrice de Tout le monde aime Jeanne, c’est passé par le dessin et des études aux Beaux-Arts. Pour Baloji, le réalisateur d’Augure, c’est la pratique de la musique qui l’a conduit vers le cinéma et le métier de réalisateur. Sylvie Pialat n’a pas toujours su qu’elle serait productrice (elle a fait des études de lettres), mais les rencontres qu’elle a faites, et notamment avec Cyril Collard (Les Nuits fauves) puis Maurice Pialat, ont donné un nouveau tour à sa vie professionnelle et l’ont amenée vers la production. J’ai demandé à chacune et chacun de me raconter un peu du chemin qui les a menés à leurs métiers, la réalisation ou la production.

C. L. : L'hybridation de différentes formes d'art comme nouvelles propositions de cinéma, c'est quelque chose qui te tenait à cœur de défendre par ces choix de films ?

A. C. : Je n’ai pas forcément pensé la chose sous cet angle d’abord. J’avais surtout à cœur de parler de premiers films francophones de natures et d’esthétiques différentes. Des films dont les histoires m’ont marquée, autant que les images m’ont envoûtée, parce qu’elles viennent renouveler nos imaginaires je crois. Les cinq films que j’ai choisis - Les Fantômes, Le Ravissement, Augure, Les Reines du drame et Tout le monde aime Jeanne -, je les ai choisis par amour. Ce sont des films que j’aime profondément et dont j’ai pu suivre de près les aventures, puisque le plupart de ces films ont été sélectionnés à La Semaine de la Critique, dont je suis la directrice artistique. Je savais que les histoires autour de la fabrication de ces films avaient toutes quelque chose d’épique et que le fait de les transmettre pouvait être inspirant, notamment pour les apprenti.e.s cinéastes.

Faire un premier film, c’est un parcours du combattant et quand on lit ces récits, on le comprend à 100%. Il y a des hauts et des bas, des obstacles à chaque étape de création, mais, ce qui est beau à lire, c’est la solidarité des uns et des autres, pour que le film puisse voir le jour. Comment chacun trouve des solutions aux problèmes - en premier lieu, les cinéastes et leurs producteurs -, comment les obstacles sont surmontés. Ensemble, on retrace dans ces entretiens tout le parcours d’un premier film, de l’écriture, au financement, en passant par le tournage, la post-production, jusqu’à la sortie du film au cinéma et sa réception critique et publique.

C. L. : Ces entretiens viennent compléter ton travail à la Semaine de la Critique où tu découvres des œuvres terminées sans connaître la longue expérience qui les a précédée et les personnes qui les ont portées.

A. C. : Oui, c’est vrai. On découvre les films finis, ou presque. On a quelques informations sur eux, mais on ne connait pas tout de l’envers du décor ! J’ai découvert ces histoires fantastiques en discutant avec les cinéastes et les producteurs et productrices par la suite et c’est là que je me suis dit que ça serait intéressant d’ouvrir la discussion, de l’approfondir, dans le cadre d’un livre de témoignages partagés, qui se lit, je crois, comme un livre d’aventures, avec des rebondissements multiples et quelques bonnes suées, mais avec une fin heureuse, et notamment une sélection au Festival de Cannes pour les cinq films, sélection qui sonne pour les équipes comme une récompense après tant de mois passés à bosser d’arrache-pied, « jour et nuit » comme le disent les réalisatrices Iris Kaltenbäck et Alexis Langlois.

C. L. : Ces conversations sont d'autant plus précieuses que pour un premier long métrage, un.e cinéaste est contraint.e à cacher ses doutes, ses vulnérabilités pour donner une impression de contrôle et de maîtrise en toutes circonstances.

A. C. : On voit bien à travers chaque histoire la détermination des cinéastes et de leurs producteurs.trices. Bien sûr, tout le monde est mis à l’épreuve, mais les épreuves sont traversées main dans la main. Ce n’est jamais serein et chacun se dépasse, donc, forcément, il peut y avoir des moments de craquage, de découragement et de grands instants de vulnérabilité et de doutes. Mais ce ne sont jamais des doutes qui entachent la relation cinéaste-producteur.trice, ni des doutes artistiques. Ce sont plutôt des doutes humains, intimes. Le pacte qu’on a noué toutes et tous ensemble avant de démarrer les entretiens, c’est de dire les choses vraies, comme elles se sont passées. Il ne s’agissait pas d’enjoliver les récits, mais de les restituer de manière honnête. Tout le monde s’est prêté au jeu. Et puis, ils avaient tous le recul nécessaire pour le faire, puisque leurs films sont sortis depuis quelque temps déjà, entre 2022 et 2024. Les entretiens ont duré de longues heures et je me suis sentie comme une confidente et une alliée. C’était assez naturel à vrai dire, en tout cas, avec le casting que j’ai réuni pour ce livre. Dans ces entretiens, il y a eu une liberté de parole qui m'était chère et qui était fondamentale.

C. L. : Qu'est-ce que tu penses aussi de l'enjeu pédagogique du livre pour le grand public permettant de découvrir le hors champs du financement du cinéma d'auteur au cœur de l'industrie française ?

A. C. : Rencontrer les commissions de financement, c’est une étape par laquelle tout le monde passe et ça me semblait intéressant de savoir comment les uns et les autres avaient vécu cette étape, comment ils l’avaient préparée et à quel guichet étaient allés taper les producteurs et productrices pour obtenir les sous pour faire le film. Il y a différentes aides publiques, du CNC, des régions, des aides à l’écriture, des aides à la production, des aides après réalisation, des aides à la diffusion. Hormis Les Fantômes qui n’a pas eu tant de soucis que ça pour son financement, pour tous les autres films dont on parle, l’aventure a été plus chaotique. Ni Iris Kaltenbäck ni Baloji n’ont obtenu l’avance sur recettes du CNC par exemple, qui, quand on l’obtient permet quand même de souffler un peu. Pour Alexis Langlois, ça n’a pas été évident non plus et le budget initial des Reines du drame a dû être revu à la baisse, parce que le projet n’a pas obtenu autant de soutiens qu’il aurait dû en obtenir. Pas simple pour un film queer de briser le plafond de verre aujourd’hui encore…

Ce qu’on entend dans le livre, ce sont des producteurs et des productrices qui se battent pour des premiers films singuliers, qui mouillent la chemise pour les cinéastes émergents auxquels ils et elles croient. Si une porte se ferme, ils et elles cherchent à en ouvrir une autre. Pour Augure, Benoît Roland, le producteur, a failli perdre ses cheveux! Mais il est quand même parvenu à réunir les fonds pour que le film se fasse et Augure a brillé de Cannes à Los Angeles, puisqu’il a représenté la Belgique aux Oscars en 2023.

Illustration 2

Nos premiers films. Conversations
d'Ava Cahen

Nombre de pages : 190
Format : 13,7 x 21 cm
Date de sortie (France) : 29 avril 2025
Éditeur : Marest éditeur

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