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Cédric Lépine : Dans quels contextes l’envie d’écrire ce roman est-elle apparue ?
Joanne Richoux : Juste avant que m’est venu en rêve, pendant l’été 2022. On venait de m’annoncer le cancer de mon père, donc mon inconscient a répondu la nuit suivante avec ce récit – deux jeunes dans une chambre, l’apocalypse dehors, eux qui vivent malgré tout. J’ai écrit d’une traite à l’hiver, dans une ambiance COP27 en jets privés et Coupe du Monde au Qatar. Côté édition, on m’avait répété et répété que j’adorerais L’Ardeur, que je devais absolument lire les bouquins de leur collection, voire en commettre un. Ce projet improvisé était l’occasion.
C. L. : Est-ce que vous pensiez vous adresser en particulier aux adolescent.es et jeunes adultes en écrivant ce livre ?
J. R. : Oui, c’est un public auquel j’aime parler, parce qu’il y a une question d’urgence, de premières fois, ça rend les textes plus nerveux. Mais les adultes peuvent apprécier.
C. L. : Comment définiriez-vous Juste avant que par rapport aux nombreux livres que vous avez écrits depuis 2012 ?
J. R. : Ce serait le plus politique. Le plus inattendu aussi, puisque moi-même je ne l’attendais pas. D’ailleurs c’était spécial de le pitcher à l’éditrice. « Ça vous tente, un roman en huis clos qui mêle virginité et militantisme ? ». Pourtant elle a vite accroché. C’est aussi mon premier roman traduit - les Italiens le qualifient de « Roméo et Juliette dystopique ». Quel plaisir.
C. L. : Qu’aimez-vous dans le roman d’anticipation ?
J. R. : En fait, je suis allée vers l’anticipation par nécessité pour cette histoire. Et c’était terrifiant d’être toujours en retard sur l’actualité. On évolue dans un système de crises permanentes, qu’il s’agisse de l’environnement, des injustices, de la santé. Aujourd’hui, imaginer des dystopies sans être immédiatement rattrapé par le réel relève de la voltige (on est quand même dans la timeline de Back to the Futur où Biff Tannen, aka Donald Trump, gouverne).
C. L. : Quelle est votre méthode pour construire vos personnages : une inspiration de personnes précises ou bien la somme de sujets que vous vouliez aborder ?
J. R. : Je construis mes personnages sur mes émotions, mes épreuves. Ils sont un moyen de transmettre ce que je ressens à l’instant T, et donc des instantanés de certaines périodes. La magie opère quand mes instantanés connectent ceux de la personne qui me lit.
C. L. : La découverte progressive de la sexualité semble planer en suspens dans un univers éthéré : quelles images du monde réel aviez-vous en tête ?
J. R. : J’en avais une vision à la fois macro et micro. Si on regarde janvier 2023, et le mouvement social contre la réforme des retraites (c’est drôle que j’écrive ça le 10 septembre 2025), tout suivait le schéma classique : violences institutionnelles à l’encontre du peuple, peuple qui se soulève et se voit cueilli par les forces de l’ordre. On réprimait les manifestants ou les grévistes, ceux qui osaient dire « stop », puis dans les médias, on nous expliquait que c’étaient eux les violents. Ça légitimait les coups : ces gens avaient mérité la matraque. Cette inversion des rôles, je la retrouve dans d’autres rapports de domination. Dans les familles qui dysfonctionnent par exemple, ou au sein des relations toxiques. « Ne m’oblige pas à t’en mettre une ». « Regarde ce que tu m’as poussé à te faire ». L’intime et la vie politique ont des dynamiques très similaires. J’ai voulu retranscrire ces similitudes dans Juste avant que. Mes personnages sont aux prises avec des parents défaillants, ils ont des problèmes au lycée ou des addictions, et en intraveineuse, la société qui se délite derrière leurs fenêtres.
C. L. : La sexualité serait-elle une force spontanée pour lutter contre la torpeur ?
J. R. : Oui, c’est l’élan contre le néant, la pulsion de vie qui répond à la mort.
C. L. : L’apocalypse omniprésente dans le récit est une opportunité de saisir les peurs d’une époque : quel portrait pensez-vous avoir réalisé ?
J. R. : À mon sens, chaque génération a été confrontée au mépris de la précédente. Et chaque génération a traversé ses drames. Dans Juste avant que, je voulais envisager la Gen Z, voire la Gen Alpha, qui paraissent plus nihilistes que nous. Disons que si les humains traînent un sentiment de fin imminente depuis toujours, pour ces générations, les catastrophes sont en 4K et font intrusion sur leurs écrans H24. Extinction massive, génocide, autoritarisme, même le « progrès » est perçu comme une menace, avec les IA notamment. J’ai voulu dépeindre ça, un certain désespoir, mais une étincelle par-dessus - le désir des corps. C’est ça qui fait tenir debout, il me semble. La possibilité de cet autre à aimer, là, dans le secret d’une chambre, l’importance de la peau et son bruit, qui sait écraser celui du monde.

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Juste avant que
de Joanne Richoux
Nombre de pages : 128
Format : 14,00 x 21,90 x 1,30 cm
Date de sortie (France) : 28 juin 2024
Éditeur : L'Ardeur