L'anathème, procédé de censure s'il s'agit d'une idée ou d'exclusion s'il s'agit de personnes, est effectivement le thème principal, tout au moins de toute la première partie de ce diptyque.
Dans une société imaginaire, qui comme souvent a de nombreux points communs avec la nôtre, des groupements d'êtres humains vivent à l'écart du reste du monde. Ils apparaissent en premier lieu comme des moines retirés du tumulte de la civilisation, vivant en autarcie et en autonomie, cultivant leurs légumes et leur philosophie.
Ces moines ont cependant une différence notable avec ceux que l'on peut connaître. Tous les monastères (ou presque), s'ils sont fermement isolés du reste du monde (à l'exception de courtes périodes d'ouverture tous les dix ans) sont reliés entre eux et surtout, ils sont adeptes de sciences et de philosophie et pas de religion. Les monastères sont tous hermétiques au monde extérieur, mais on apprend peu à peu que dans leur histoire, ce monde extérieur ne les a pas épargnés. Les épisodes d'invasion sont au nombre de trois et connus sous le nom de "Sac" (comme dans mise à sac). La vie dans les monastères est rythmée par les tâches quotidiennes et surtout par les discussions philosophiques et mathématiques. Différentes écoles de pensées et courants mathématiques s'affrontent et s'aiguisent depuis ce qui semble être des millénaires.

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Ces monastères se sont exclus eux-mêmes de la société, et ils ont également banni les technologies extérieures ou leur étude, jusqu'à faire intervenir des techniciens du monde moderne pour entretenir les rouages et mécanismes complexes existant dans leurs enceintes. Ils ont malgré tout développé quelques outils qui leur servent au quotidien et qui malgré leur apparence banale (cordelette, toge et sphère), seraient considérés comme des exploits technologiques hors de leurs murs.
Tous les monastères appartiennent à une même entité et sont dirigés en commun. Ils sont également soumis en commun aux mêmes obligations et un organe de contrôle et de censure connu sous le nom d'Inquisition, peut à tout moment frapper d'anathème (donc d'exclusion), tout membre de la congrégation qui passerait pour hérétique au regard des doctrines approuvées. C'est d'ailleurs un de ces évènements (assez rare) qui va bouleverser l'intégralité du monde monastique et ensuite celle du monde entier. Quant au monde extérieur, il ne porte que peu d'attention aux monastères et ressemble plus ou moins à celui dans lequel on vit.
Sans dévoiler une des parts de l'intrigue, on peut rapprocher ces romans d'un autre du même auteur Panique à l'université, huis clos apocalyptique dans la "Megaversité Américaine" d'un monde cyberpunk. Les romans poussent le concept d'exclusion jusque dans l'écriture, qui en réinventant des mots pour définir des choses que l'on connaît, ancre ce monde dans la fiction. Anatèm va même jusqu'à exclure le lecteur, rendant la progression dans le roman assez ardue, distillant les éléments de compréhension au compte-gouttes, forçant l'implication par son hermétisme de façade. Ce qui en résulte est qu'on a l'impression par la suite de comprendre relativement facilement des choses très compliquées.
Difficile de donner une conclusion sans parler de la fin ou en tout cas de l'élément principal de l'ouvrage, je me contenterai donc de vous conseiller la lecture de ces deux romans, accrochez-vous pendant quelques chapitres assez obscurs, ça en vaut la peine si ce n'est pour le dévoilement final, au moins pour l'expérience.
Les références : Anatèm de Neal Stephenson, édité par Albin Michel en deux volumes, également disponibles en poche chez Le livre de poche.