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Cédric Lépine : Quelles étaient les premières envies à l’origine de l’écriture de ce roman ?
Clarissa Rivière : Après Le Village des soumises qui fourmillait de personnages, j’avais envie de me plonger dans une histoire plus intime, presque un huis-clos — même si un huis-clos peut se révéler étouffant, avec les émotions portées à leur paroxysme en raison de la promiscuité !
Je repensais souvent à deux nouvelles que j’avais écrites pour une maison d’édition aujourd’hui disparue, les éditions L’Ivre-book. Leurs héros poursuivaient leurs aventures dans mes pensées et mes fantasmes, et un jour, je me suis mise à les écrire. Ces deux histoires constituent à présent le début de Chemins de soumission.
C. L. : Pourquoi avoir choisi une multiplication des points de vue plutôt que de se focaliser sur un personnage en particulier ?
C. R. : J’ai toujours écrit avec plusieurs points de vue, car cela me permet d’explorer les réactions, les pensées, les doutes de chacun de mes personnages. Et puis, l’écriture à la troisième personne pose une barrière naturelle, une distance. Déjà que l’on me demande souvent « si c’est du vécu », j’imagine si j’écrivais à la première personne !
Ce choix s’est donc fait naturellement, sans y réfléchir.
Mais c’est tentant d’essayer d’écrire un jour à la première personne, au présent, c’est bien plus immersif (et tant pis pour le « qu’en dira-t-on ! »)
C. L. : Est-ce que l’initiation et la découverte du BDSM faisaient partie de vos enjeux d’écriture ?
C. R. : J’aime énormément les débuts, les initiations, les premières fois… Je me rends compte que la plupart de mes romans tournent autour de ces thèmes : Immersion raconte les premiers pas d’une dominatrice, Le Village des soumises accueille plusieurs nouvelles venues, et Chemins de soumission s’affiche clairement comme un roman d’initiation.
Les débuts sont tellement importants ! J’aime ce moment où tout bascule, irrémédiablement, avec ensuite les cheminements, les expériences, les désirs qui naissent, s’épanouissent au fil des découvertes.
Ce sont des thèmes sur lesquels je peux broder éternellement, ils se sont imposés tout seuls !
C. L. : Sentez-vous que le BDSM est sorti de sa marge pour commencer à se démocratiser ?
C. R. : Oui, le BDSM s’est bien démocratisé, notamment depuis le succès des livres et des films 50 nuances de Grey, il y a plus de dix ans. Ils ont été critiqués par le milieu, mais ils ont eu le mérite de dédiaboliser le BDSM, d’attirer de nouvelles personnes en leur donnant envie d’en savoir plus. Avant, le BDSM pouvait faire peur, il paraissait extrême, véhiculé par des romans intenses, alors qu’en réalité, il existe toute une palette de possibilités, tout un éventail de pratiques, des plus douces aux plus extrêmes. Se faire fouetter au sang n’est pas un passage obligé !
Le BDSM s’invite maintenant dans toute les relations et dans toutes les chambres, parfois même à l’insu des protagonistes.
J’y fais une allusion dans mon roman. Mes deux héroïnes n’ont jamais eu d’expérience BDSM, mais elles ne sont pas naïves et ignorantes pour autant (comment l’être aujourd’hui !), elles ne se jettent pas dans la gueule du loup en toute inconscience. Elles ont lu des romances dark, ont vu des films, se sont renseignées sur les réseaux sociaux… Elles sont curieuses et déjà attirées, ce qui explique qu’elles se laissent si facilement entraîner par leur hôte.
C. L. : Pourquoi teniez-vous à mettre au cœur de votre intrigue une histoire d’amour ?
C. R. : Dans mon précédent roman, j’avais esquissé plusieurs histoires d’amour, sans pouvoir vraiment les creuser et les développer en raison du nombre de personnages. Cette fois, avec une histoire resserrée autour de trois personnages principaux, j’ai pu m’adonner à mes penchants romantiques, au risque de verser dans le roman à l’eau de rose : l’amour fulgurant de Nadia pour Nicolas, celui de Nicolas qui se révèle peu à peu… Je me suis exaltée toute seule !
Je pense que les personnes soumises prennent bien plus de plaisir si elles éprouvent des sentiments pour leur maître ou leur maîtresse. Leur offrir leur souffrance, se mettre à leur service, leur sera d’autant plus délectable et aura plus de sens en les aimant, que ce soit en secret ou au grand jour !
On peut bien sûr pratiquer le BDSM pour s’amuser, entre partenaires de jeux, en toute amitié, sans qu’il soit question d’amour, mais dans un roman, les sentiments ajoutent à la tension érotique. J’ai pu m’amuser avec la jalousie de mes personnages, une jalousie qui se transforme parfois en excitation. Seul l’amour permet d’éprouver des ressentis aussi forts !
Enfin, la plupart des jeux mis en scène sont des jeux sexuels, et l’amour augmente et embellit les ressentis. C’est un rehausseur de plaisir, on le sait bien aussi dans le monde « vanille ».
C. L. : Le récit débute comme un film d’horreur avec deux adolescentes perdues en randonnée sous la pluie qui trouvent refuge la nuit dans un manoir qui semble abandonné et celles-ci sont conscientes de ce cliché : comment jouez-vous avec les lieux communs pour mieux les détourner ?
C. R. : J’aime bien jouer avec les clichés, les intégrer, et les détourner pour sourire ! Quand j’ai pensé à Nicolas, la figure de Dracula s’est imposée, ce séduisant vampire qui subjugue ses victimes, un peu comme Nicolas a subjugué Nadia.
C’est un début en forme de clin d’œil, car dans la réalité, on a peu de chance de rencontrer un dominant en toquant à la première porte au hasard, mieux vaut aller en soirée pour augmenter ses chances !
Mes personnages correspondent souvent à des archétypes, des clichés : il y a le séduisant dominant en costume-cravate, les deux oies blanches, la dominatrice tout feu tout flamme et sarcastique, le majordome macho et lourdaud, l’assistante amoureuse de son patron… Je les ai tous réunis, bien mélangés, et j’ai secoué le tout !
C. L. : Pourquoi n’avoir pas donné davantage de réalités sociales aux personnages pour comprendre le milieu dont ils sont issus et d’où provient la puissance financière de Nicolas ?
C. R. : C’est vrai, je ne me suis pas appesantie sur « l’environnement », le contexte, et je reconnais que cela doit manquer. Mon héros aurait sûrement plus de « chair » et de consistance si on en savait plus sur lui. On sait seulement que Nicolas possède une société, sans plus de précisions. J’aurais sans doute dû parler de sa famille, de son manoir.
Je suis allée droit au but, j’ai écrit ce qui me faisait le plus plaisir, je me suis consacrée à mon triangle amoureux, explorant les possibilités de jeux, d’étreintes, sans m’étendre sur la situation de chacun.
C. L. : Dans le rôle du personnage surnommé Poutou qui donne du plaisir mais qui ne peut ni jouir ni accéder au pouvoir, y a-t-il une allusion à un homme politique ?
C. R. : [Rires !] Non, aucune ! Je n’ai pas pensé à cet homme politique (pourvu qu’il ne se sente pas visé si par extraordinaire il tombe sur mon roman !). J’ai choisi Poutou, car cela sonnait bien pour un « toutou », et parce que cela veut dire Baiser dans le sud-ouest (dans le sens d’« un baiser ») ! Je me suis inspirée d’un soumis que j’ai bien connu qui adorait faire plaisir, il en ressentait en retour, par empathie. Il appréciait également la frustration, et savait la transcender en une forme de plaisir masochiste et sacrificiel. Les voies d’accès au plaisir sont souvent mystérieuses et tortueuses dans le BDSM !
C. L. : Le fait que les deux amies qui s’initient au BDSM soient mineures participe-t-il aux fantasmes inhérents de dominateur Nicolas dans la différence d’âge, comme le souligne Laura, ou bien reflète-t-il de manière inhérente son désir de transgression sociale ?
C. R. : En fait elles ne sont pas mineures, elles sont en master de gestion, donc elles ont environ 23 ans — ce qui reste très jeune, au regard de l’âge de leur mentor.
Dans une première version de mon manuscrit, elles étaient tout juste âgées de 18 ans et entraient en première année de fac, mais j’ai décidé de les « vieillir » un peu.
Ce qui plaît à Nicolas, ce n’est pas tant la transgression sociale, mais le plaisir d’initier, de jouer les maîtres, de guider les premiers pas de ces jeunes filles encore naïves et malléables — soi-disant, car elles sauront affirmer leurs désirs et leur singularité ! Il aime les éveiller, les révéler, leur faire découvrir les plaisirs de la soumission, le pouvoir de l’emprise, et les entraîner d’emblée dans le BDSM qu’il affectionne, un BDSM sensuel et sexuel — ce qui ne représente qu’une partie du BDSM.
C. L. : Avez-vous encore des désirs de romance fantastique ?
C. R. : Ma romance fantastique Souvenir d’Écosse est parue il y a un an tout juste : une histoire d’amour entre une jeune fille gothique et un fantôme, sans une once d’érotisme cette fois.
J’ai d’autres idées d’histoires dans cette même veine, mais pour l’instant, j’écris surtout des textes érotiques, pour le plaisir et m’amuser !
Merci beaucoup pour cette interview et toutes vos questions !

Chemins de soumission
de Clarissa Rivière
Nombre de pages : 320
Format : 13,00 x 21,00 x 20,00 cm
Date de sortie (France) : 3 juin 2025
Éditeur : Tabou
Collection : Les Jardins de Priape