Marcello Quintanilha a reçu en mars 2022 lors de l'édition du Festival International de la bande dessinée d'Angoulême le Fauve d'Or pour "Écoute, jolie Márcia dont il est l'auteur et l'illustrateur.
Cédric Lépine : Pouvez-vous parler de la manière dont vous avez construit votre histoire ?
Marcello Quintanilha : J'ai construit le récit autour de deux thèmes principaux : le fait que l'art puisse changer des vies et l'histoire d'une mère qui prend une décision extrême pour sauver sa fille. L'influence que peut avoir l'art est mise en exergue par le lien du personnage de la mère avec une ancienne chanson brésilienne, enregistrée pour la première fois en 1823. Cette chanson permet au personnage d'être en contact avec elle-même de manière très profonde. Ce contact avec sa propre humanité est probablement la raison pour laquelle elle est capable de prendre cette décision difficile.

C. L. : Pourquoi avoir choisi le personnage d'une mère infirmière dans sa relation avec sa fille pour porter votre histoire ?
M. Q. : Je ne fais jamais de choix. Ce sont mes personnages qui font leurs propres choix. L'amour d'une mère est généralement quelque chose de plus fort que la vie elle-même et j'ai toujours été tenté d'explorer ce genre de sentiment. Une infirmière côtoie la vie et la mort au quotidien, ce qui lui donne un sens aigu de la finitude et de l'importance de résoudre les problèmes tant que c'est encore possible.
C. L. : Cette édition s'adressant aux lecteurs étrangers, de quelle manière souhaitez-vous partager une réalité du Brésil d'aujourd'hui ?
M. Q. : Je crois vraiment qu'il n'est pas nécessaire que quiconque soit familier avec un endroit spécifique pour s'identifier aux sentiments et aux préoccupations partagés par tous. Je ne travaille jamais à partir de stéréotypes, et je n'ai pas peur de montrer la réalité de la manière la plus honnête possible.
C. L. : Quelles sont vos sources d'inspiration dans votre écriture et vos dessins ?
M. Q. : Ce sont les mêmes depuis très, très longtemps... La littérature brésilienne, le néoréalisme italien, le cinéma social des années 1960. Certaines de mes histoires ont été construites pour tenter de recréer l'atmosphère de certains de ces films. Par ailleurs, le photojournalisme a toujours été présent ainsi que la musique populaire brésilienne, et je travaille souvent à traduire sa tension rythmique en lignes graphiques. Dostoïevski et Beckett ont également eu une influence très profonde pour la construction d'Écoute, jolie Márcia.
C. L. : Qu'est-ce qui a changé dans l'histoire que vous racontez dans les favelas depuis l'arrivée au pouvoir présidentiel de Bolsonaro ?
M. Q. : Un gouvernement comme celui de l'actuel président aggrave dangereusement les maux sociaux qui se sont renforcés au Brésil au fil des décennies, notamment en raison d'une incapacité - ou d'un désintérêt - des pouvoirs publics à répondre de manière adéquate aux aspirations de la population.
C. L. : En dernière partie de votre récit, vous évoquez en prison l'émergence des mouvements évangélistes qui diabolisent les pratiques religieuses syncrétiques afro-brésiliennes : peut-on y voir, en plus du développement de la criminalité et de la corruption des forces de l'ordre, une menace à l'heure actuelle des mouvements évangéliques qui se retrouvent jusque dans les prisons ?
M. Q. : La corruption et la criminalité se sont institutionnalisées au Brésil, comblant le vide laissé par l'État lorsqu'il s'agit d'œuvrer pour une plus grande égalité entre tous les membres de la collectivité. Cet écart atteint des niveaux extrêmes. Chaque fois que l'État est absent, en ne remplissant pas son rôle, que cela soit dans les domaines de la santé, de l'éducation, des transports, de l'assainissement ou pour la dignité de l'institution carcérale, les personnes deviennent vulnérables aux actions de groupes qui imposent une sorte de pouvoir parallèle, comme des factions criminelles. En outre, le néo-pentecôtisme s'est renforcé en tant que force d'absorption du citoyen au sein d'une communauté supposée homogène. Une promesse d'ordre - parfois basé sur l'intolérance - dans un contexte de chaos créé par les crises économiques et institutionnelles successives. Dans les moments de crise, la promesse d'ordre est une valeur politique. Dans ce contexte, la contamination entre ces différentes composantes de la société devient possible.
C. L. : Quelle est la place des bandes dessinées dans la diffusion de la culture au Brésil actuellement ? Où peut-on lire votre bande dessinée au Brésil ?
M. Q. : Tous mes livres sont publiés au Brésil et au Portugal et disponibles en librairies. La bande dessinée au Brésil accroît son importance chaque année. Depuis deux décennies, le marché est dynamique et d'innombrables nouveaux artistes ont la possibilité de faire connaître leur travail au public notamment grâce au soutien des plateformes numériques, et de plus en plus d'éditeurs apparaissent. C'est une période très intéressante, et j'espère que cela s'amplifiera encore davantage dans les années à venir.
Écoute, jolie Márcia
Titre original : Escuta formosa Márcia (Brésil)
de Marcello Quintanilha (auteur, illustrateur)
Traduction de Dominique Nedellec
Nombre de pages : 128
Format : 24 x 31cm
Date de sortie (France) : 10 septembre 2021
Éditeur : Çà et là
