Billet de blog 21 octobre 2023

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Prune Helfter-Noah à propos de son livre "En finir avec l'école"

Dans son ouvrage, Prune Helfter-Noah libère la parole sur les choix de l'éducation nationale et dresse un portrait de la situation nocive de la scolarisation en France en 2023. Une opportunité pour réfléchir une place inclusive des enfants dans la construction de la société.

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Prune Helfter-Noah © Claude Almodovar

Cédric Lépine : Pouvez-vous rappeler comment l'écriture de ce livre est apparue comme une urgence dans le contexte actuel ?
Prune Helfter-Noah :
J'ai entrepris l'écriture de ce livre après avoir réalisé le caractère « superflu » au mieux, « néfaste » au pire, de l'école obligatoire telle qu'elle existe aujourd'hui en France. Lors du confinement total, en mars-mai 2020, durant lequel j'ai été amenée, comme tous les parents, à superviser plus étroitement le travail scolaire de mes enfants, j'ai pris conscience du fait que le contenu du programme, les apprentissages requis des enfants, n'imposaient pas de passer 8 heures par jour sur les bancs de l'école. J'ai été très surprise de constater qu'en une heure ou deux, quatre fois par semaine, le travail exigé par l'éducation nationale était réalisé. Et, à partir de là, j'ai entamé une profonde remise en cause des objectifs, des moyens et des méthodes de l'école.

C. L. : Quelles ont été les recherches entreprises pour écrire ce livre ?
P. H-N. :
J'ai découvert une littérature que je ne connaissais absolument pas, autour des apprentissages autonomes, de l'école du troisième type, y compris des ouvrages assez anciens comme Une société sans école d'Ivan Illich, que je n'avais jamais lu. J'ai été enthousiasmée par les analyses et propositions faites par ces chercheuses, chercheurs, praticiennes et praticiens, qui n'hésitent pas à sortir des sentiers battus pour s'intéresser davantage aux conséquences réelles du système scolaire sur les enfants et sur la société toute entière, qu'aux mythes positifs qui l'entourent : émancipation, égalité, reconnaissance sociale...

Avez-vous pu dialoguer avec des membres de l'institution scolaire sur les problématiques de la scolarité en France afin de bénéficier de leurs témoignages ?

Cela m'est arrivé fréquemment dans d'autres contextes, en tant qu'élue locale par exemple, ou dans le cadre de travaux menés par le Collectif Nos Services Publics ou le Mouvement Utopia, qui réfléchissent aux grands enjeux de l'enseignement aujourd'hui. Mais, pour ce livre, le propos était différent : il s'agissait de prendre du recul par rapport aux questions les plus contemporaines pour envisager une école radicalement différente de celle qui existe aujourd'hui.

Depuis les dernières réformes, comment l'instruction à la maison est encore possible ?

Le gouvernement a voulu rendre très difficile, voire impossible, le choix de l'instruction en famille : alors que, depuis les lois Ferry du XIXe siècle, seule l'instruction était obligatoire, que celle-ci se déroule en famille, ou dans un établissement scolaire public ou privé, le gouvernement a choisi de rendre l'école obligatoire. C'est un changement de paradigme complet, qui arrive en plus à un moment bien peu opportun, l'école n'ayant jamais été aussi maltraitante envers les élèves, aussi peu attractive pour les enseignants, aussi inégalitaire et aussi peu démocratique.

Selon vous, quelles sont les chances à l'heure actuelle pour voir l'école évoluer vers plus de démocratisation et moins de discrimination par rapport aux origines sociales, moins de compétition et plus de créativité ?

Une telle évolution nécessiterait, en premier lieu, l'existence d'une volonté politique. Or, il ne me semble pas que le gouvernement actuel ait la volonté de démocratiser l'enseignement, c'est-à-dire de faire en sorte que les enseignants, les familles, les élèves, aient leur mot à dire sur les contenus et les méthodes de l'école. Je n'ai pas non plus noté de prise de parole du nouveau ministre de l'éducation en faveur du développement de la créativité des élèves (ou des enseignants) à l'école. Quant à la compétition, entre les évaluations multiples auxquelles sont soumis les élèves dès le plus jeune âge et le système Parcoursup qui fait subir une pression permanente aux lycéens et lycéennes, on ne voit nulle part l'indice d'une prise en compte des méfaits de la compétition sur les apprentissages et le bien-être des élèves. Enfin, la volonté du gouvernement de « trier » les élèves de plus en plus tôt dans leur scolarité ne peut qu'avoir un effet amplificateur sur les inégalités selon l'origine sociale des élèves.

Au moment où l'armée avec la valorisation de son idéologie disciplinaire entre de plus en plus dans l'école avec le SNU au lycée et la CDSG (Classe Défense Sécurité Globale, dans un partenariat entre les ministères des Armées et de l'Éducation) au collège, comment voyez-vous l'avenir de l'indépendance du milieu scolaire ?

L'institution scolaire est un outil massif de formatage (plus que de formation) des esprits. Le gouvernement en a bien conscience et cherche, par tout moyen, à reprendre le contrôle sur une génération qui, majoritairement, se forme et s'informe ailleurs, sur les réseaux sociaux et entre pairs. Je pense (et j'espère!) que cette prise en mains toujours plus étroite de l'école par le gouvernement, ce repli autoritariste, qui se manifeste aussi à travers la volonté de contrôler les corps (débats autour de l'uniforme, interdiction de certains vêtements), ne peuvent que générer une réaction inverse en faveur de plus de liberté pédagogique pour les enseignants, de plus d'autonomie pour les élèves, de plus de respect des choix des familles.

Quel est l'enjeu des notes à l'école ?

Parents et enseignants sont majoritairement convaincus que les notes et les devoirs à la maison sont consubstantiels à l'école. Sans note ni devoir à la maison, les enfants n'étudieraient pas. Il s'agit pourtant d'un mythe sans fondement qui bloque toute évolution pédagogique. La note sert essentiellement à classer les élèves ; elle a une fonction de « tri » qui permet d'orienter les « meilleurs » élèves vers un cursus général puis les grandes écoles, les « moins bons » vers des études plus traditionnelles, et les « mauvais » vers des classes adaptées de type Segpa, lycée professionnel, etc. En aucun cas la note n'est-elle un outil encourageant le développement par l'élève de ses compétences et la maximisation de ses potentialités.

Les représentant.es des parents d'élèves, via les fédérations, ont-ils et elles leur place pour défendre la démocratie dans une institution particulièrement pyramidale ?

L'école ne devrait pas être « la chose » des enseignants, et encore moins celle du gouvernement. Il est essentiel d'associer toutes les parties prenantes à la définition des objectifs, des contenus et des méthodes de l'institution scolaire. Les parents d'élèves, via leurs représentants mais pas uniquement, ainsi que les élèves eux-mêmes, les enseignants, et tous les professionnels intervenant à l'école, devraient être très étroitement associés à la gestion de l'enseignement en France.

La sacro-sainte valeur travail qui sous-entend tout le cursus scolaire peut-elle être questionnée au sein du milieu scolaire selon vous ?

L'école en France reflète les valeurs qui sous-tendent la société dans son ensemble. Il est donc illusoire de croire qu'aujourd'hui, alors que même les bénéficiaires du RSA sont sommés de « travailler » pour mériter le versement de leur allocation, l'école pourrait porter un autre discours que celui centré sur la valeur travail.

Quelle place à l'heure actuelle pour les professeur.es pour requestionner de l'intérieur les directives ministérielles et créer un espace bienveillant auprès des élèves dans toutes leurs singularités à la manière de Freinet il y a près d'un siècle ?

Les pédagogies alternatives sont très peu employées au sein de l'école publique, alors qu'elles ont fait leur preuve depuis plus d'un siècle : le climat scolaire s'en trouve radicalement amélioré, la coopération remplace spontanément la compétition, les apprentissages sont plus rapides et plus ancrés, la motivation des élèves est décuplée ainsi que leur bien-être. Le ministère de l'éducation nationale aurait tout intérêt à généraliser ces pédagogies, notamment celle de Freinet, en commençant par former les enseignants.

Pourquoi le plaisir d'apprendre et de se retrouver dans une sociabilité semble-t-il un tel tabou dans l'institution scolaire ?

Encore une fois, l'école ne fait que refléter les valeurs qui régissent les rapports sociaux. L'école qui a pour fonction de préparer l'enfant à la société, doit donc lui inculquer la centralité de la valeur-travail, le respect de la hiérarchie et l'obéissance. Les rapports verticaux de domination sont privilégiés, l'effort et la contrainte sont valorisés, alors que le plaisir et les rapports horizontaux de coopération sont les grands oubliés.

Pour conclure, à quoi sert l'école selon vous dans la France de 2023 ?

Aujourd'hui, l'école sert principalement à « s'occuper » des enfants petits pour que les parents puissent travailler, puis à « occuper » les enfants plus grands pour éviter qu'ils ne rentrent trop tôt sur le marché du travail ou qu'ils ne traînent aux pieds des barres d'immeubles. Changer de paradigme, c'est-à-dire faire de l'école un lieu d'émancipation pour toutes et tous, impliquerait de revoir complètement la philosophie qui préside aux enseignements : susciter la motivation intrinsèque des élèves pour les apprentissages, valoriser la coopération, respecter les rythmes des enfants, accueillir la participation des familles et enfin... accepter de débattre du principe même de l'obligation scolaire, qui vicie la relation de l'élève au professeur.

Illustration 2

En finir avec l'école
de Prune Helfter-Noah

Nombre de pages : 170
Format : 15 x 1,2 x 21 cm
Date de sortie (France) : 23 mars 2023
Éditeur : Le Hêtre Myriadis
En coédition : L'Instant présent

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