Si nous avons parfois l'impression que la censure est une affaire d'historiens et qu'elle a disparu depuis longtemps, elle n'en ressurgit pas moins sporadiquement en se couvrant souvent des atours de la bienveillance et de l'intérêt général. Au Japon, le déguisement est parfois peu convaincant.

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Tetsuya Tsutsui, lui-même victime de la censure au Japon et auteur de Poison City, présente dans sa fiction le cas de Mikio Hibino, un jeune mangaka qui essaie de faire publier sa série Dark Walker. Dans un contexte politiquement tendu et sous couvert de rendre le Japon le plus présentable possible pour les jeux olympiques approchants, de nombreuses actions de censure et de répression ont déjà lieu (destruction d'une statue jugée problématique, répression brutale de manifestants). Suite à un fait divers tragique, une "Loi pour une littérature saine" a été votée et une Commission spéciale est mandatée pour juger, au niveau national, si une œuvre problématique doit être déconseillée ou nocive (là où la décision était prise avant au niveau régional). Les éditeurs ont par conséquent révisé leurs publications pour éviter la censure et la mort dans l'œuf de certains mangas à leur publication, le bandeau "œuvre déconseillée" ou "œuvre nocive" étant un frein certain. Dark Walker va être la cible de la censure et se retrouver étiquetée nocive, signant la fin de sa prépublication en magazine et le passage du manga en publication sur internet, les ventes en magasin n'étant pas envisageables commercialement. Mikio devra même passer, fait inédit, devant la Commission pour essayer de se défendre d'être comme son manga étiqueté nocif.

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Dans Tokyo Toybox, c'est l'industrie toute entière du jeu vidéo au Japon qui sera l'objet d'une attaque de la censure sous couvert d'une collaboration avec le ministère de l'éducation et de la culture. Encore une fois c'est un fait divers tragique qui va être déclencheur de cette opération, censée établir une norme d'acceptabilité des jeux vidéo voire même lui ôter son statut de produit culturel et le redescendre à hauteur de simple divertissement sans conséquence.Tokyo Toybox par ailleurs montre aussi la vie d'un petit studio et de ses membres, souvent obligés de travailler tard et jusqu'à l'épuisement pour respecter les délais, un problème toujours bien présent dans les studios actuels et le fameux "crunch" qui dure parfois plusieurs semaines ou mois et est la cause de nombreux burn-out dans les rangs de la profession.
Ces deux histoires traduisent une situation bien réelle au Japon, puisque le statut d'œuvre nocive n'est pas une invention, même si on le réserve plutôt au contenu à caractère sexuel ou violent et plusieurs régions disposent d'un comité ou d'une commission assez similaire à celle présentée dans Poison City. On pense également au fameux Comics Code Authority au USA qui a durablement marqué le monde des comics et qui est également évoqué dans poison City, ou à notre bon vieux système européen PEGI qui, même si il n'affecte aucunement la publication d'un jeu attribue tout de même un indicateur d'âge et la présence de certains types de contenu. Comme en France, la censure est soutenue et demandée par de nombreuses associations parentales et/ou religieuses, qui ne veulent pas que leurs enfants aient ne serait-ce qu'une infime chance de tomber sur quelque chose qu'ils jugent choquant ou inapproprié. On est à même de se demander quelles limites on doit poser à la censure, si on peut facilement souhaiter que des propos ou des images pédopornographiques, ouvertement racistes ou dénigrant une communauté spécifique soient prohibés ou punis, jusqu'où faut-il aller ? La culture est ce qui nous permet de développer notre esprit critique et notre pensée politique, que l'on soit lecteur, joueur, cinéphile...elle mérite au moins que l'on s'interroge sur les conditions de sa diffusion.
Les références : Poison City de Tetsuya Tsutsui chez Ki-Oon et Tokyo Toybox ainsi que Giga Tokyo Toybox de UME chez Doki Doki.